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boileau despréaux.

règles des genres se tirent de leurs définitions ; et l’imitation de la nature se détermine, en sa manière, par les règles du genre que l’auteur élit. Chez les anciens, les genres se distinguaient par la forme, par le mètre : chez nous, ils se distinguent surtout (du moins les principaux) par le fond, par l’impression, la forme restant libre dans une large mesure. La Renaissance et le xviie siècle, par conséquent Boileau, mêlent la théorie ancienne et l’idée moderne. Boileau définit un certain nombre de genres fixes, où la couleur, l’impression peuvent varier, non le mètre ; il énonce minutieusement les règles du sonnet, pour qui il semble avoir la dévotion d’un précieux, ou d’un Parnassien. D’autres genres, surtout les grands genres, sont définis par le caractère intellectuel et sentimental de leur imitation : satire, ode, épopée, tragédie, comédie. Les règles formelles y sont peu nombreuses, et connues, comme les unités dramatiques, que Boileau énonce en deux vers, ou la coupe en actes, qu’il ne se donne pas la peine d’indiquer.

Les grands genres, où Boileau s’arrête en son 3e chant, sont l’épopée, par tradition antique, et par respect d’Homère et de Virgile, la tragédie et la comédie, par tradition aussi, mais surtout par sentiment de leur importance actuelle, par goût personnel et conscience du goût commun de son siècle. Il demande à la tragédie la vérité, l’intérêt, la passion ; je n’insisterai pas sur l’idée qu’il nous donne d’une tragédie psychologique et pathétique, composée par un artiste curieux et scrupuleux : c’est inutile ; cette tragédie dont Boileau nous développe la formule abstraite, nous la retrouverons tout à l’heure, vivante, dans Racine. Car c’est à Racine qu’il a constamment songé : Racine avait réalisé son idéal.

Molière ne l’a pas satisfait : il a préféré Térence, plus par préjugé mondain que par superstition pédante. Car, ici, Boileau a subi le joug fâcheux de ses idées d’homme bien élevé : il a voulu imposer à la comédie le ton des salons, par suite il ne lui a laissé à peindre que la vie des salons. Il donne d’abord le principe naturaliste :

Que la nature donc soit votre étude unique.

Mais il le restreint aussitôt :

Étudiez la cour et connaissez la ville.

Voilà pour l’objet : quant à l’expression, il la veut fine, délicate, observatrice de toutes les bienséances mondaines. Cela mène à la comédie spirituelle du xviiie siècle : Destouches, Gresset, Collin d’Harleville, voilà ce qui peut sortir de la théorie de Boileau. Il n’a pas vu que la source vive, inépuisable, où s’alimente la comédie, toute la comédie, même la plus haute, c’était la farce populaire, et