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les grands artistes classiques.

du vieux temps, qui sont de la famille et ont leur franc parler, n’ont rien de conventionnel que leurs jeunes visages.

Pareillement, la comédie de mœurs et la comédie de caractères se pénètrent : la satire la plus particulière est toujours un trait d’humanité ; Molière s’est défendu énergiquement de faire des personnalités : et ce qu’on en a trouvé chez lui, atteste seulement la vérité précise des types. On a nommé l’original de Pourceaugnac : c’est un beau-frère de Molière. On a reconnu dans Alceste M. de Montausier, qui ressemble autant à Oronte : mais on y a reconnu aussi Molière ; et Boileau s’est nommé enfin comme l’original du critique des mauvais sonnets. On a trouvé qui était Tartufe : c’est le président Séguier, à moins que ce ne soit l’abbé Roquette. Tout cela est fantaisie : il n’y a de réel que la ressemblance des individus au type. Cependant il y a quelques cas où la satire est vraiment personnelle. S’il n’est pas absolument certain que le chasseur des Fâcheux soit M. de Soyecourt le grand veneur, Trissotin est bien l’abbé Cotin, Vadius est Ménage ; et les cinq médecins de l’Amour médecin sont cinq fameux médecins du temps, reconnaissables à leurs singularités, à leurs tics et défauts physiques. Mais ces médecins en causant nous découvrent tous les travers de la profession médicale au xviie siècle et — je me le suis laissé dire — quelques-uns qui durent encore de notre temps. Mais Trissotin est l’idéal du pédant aigre, Vadius l’idéal du cuistre injurieux : le chasseur est le chasseur éternel, absolu.

Ces personnalités sont donc tout simplement des types du temps, élargis même en types humains. La comédie de Molière nous offre un vaste tableau de la France du xviie siècle, étonnant de couleur et de vie. On entrevoit à peine le paysan, naïf et finaud, enveloppant d’innocence son égoïste et vicieuse humanité ; la paysanne coquette et vaniteuse, par là facile à enjôler. Sganarelle est le paysan ivrogne, brutal, intéressé. On entrevoit le peuple, par quelques silhouettes de rustres, porteurs de chaise ; un monde louche d’intrigants, entremetteuses, spadassins, se laisse deviner, c’est de là que sortent et là qu’ont leurs attaches les valets impudents et fripons. Le peuple honnête, rude en ses manières, cru en son langage, solidement loyal et bon, est représenté par les servantes.

Les bourgeois sont nombreux et divers, comme leur classe : M. Dimanche, le marchand, créancier né des gentilshommes, et né pour être payé en monnaie de singe ; Madame Jourdain, toute proche du peuple, par son bon sens, sa tête chaude, sa parole bruyante, et sa bonté foncière ; Chrysale, la ganache bourgeoise, épais et matériel, tout occupé de son pot, père et mari sans dignité et sans autorité ; Jourdain, Arnolphe, les bourgeois vaniteux, qui jouent au gentilhomme, prennent des noms de terre, ou frayent