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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/547

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molière.

romanciers et poètes qui ont voulu mettre aux prises la fausseté de la femme avec la passion de l’homme, n’ont pu que refaire, délayer ou transposer l’admirable quatrième acte de Molière.

Une des études où Molière s’est complu, c’est le ravage que fait le vice dans l’homme, puis hors de l’homme en qui il vit, les destructions ou altérations de sentiments naturels qui en résultent, les longues traînées de misère ou de mal qui le prolongent de tous côtés : et rien n’a donné plus de largeur ni plus de sérieuse portée à ses pièces. Voilà Tartufe, le maître hypocrite : son hypocrisie corrompt Orgon, corrompt en lui l’amour de sa femme, de ses enfants, les sentiments élémentaires de bonté, de justice, d’honneur, le fait égoïste sottement, durement, honteusement ; même les âmes honnêtes et pures sont viciées à ce contact, et la douce Elmire en vient à jouer un jeu après lequel son mari doit demeurer à jamais avili à ses yeux. Plus tragique encore est la génération du vice par le vice dans l’Avare, qui est la plus dure des comédies de Molière : l’avarice d’Harpagon tue en lui le sentiment de l’honneur, le souci de sa dignité, la notion de ses devoirs, même l’affection paternelle ; mais en ses enfants elle tue le respect, l’affection filiale. La famille est détruite : ce père, ces enfants sont en face les uns des autres comme des étrangers, des ennemis, et des ennemis qui ne s’estiment pas.

A suivre ces conséquences, la comédie tourne vite au noir. Molière les indique avec précision, d’une main légère, mais il projette toute la lumière sur les caractères eux-mêmes, qui sont plaisants. Nulle part cependant les suites graves des travers les plus légers ne sont absentes : étudiez les Précieuses, et vous saisirez comment le faux bel esprit mène aux pires aberrations de la conscience et de la conduite, par quelle pente nos héroïnes en idée arriveront à n’être que des aventurières. Regardez les Femmes savantes, et de la plus innocente en apparence des manies vous verrez sortir le dessèchement ou la perturbation des affections naturelles, le naufrage matériel et moral d’une famille d’honnêtes gens.


4. LA MORALE DE MOLIÈRE.


Ceci nous fait passer à la morale de Molière. On peut se demander s’il en a une, et si ce n’est pas nous qui la lui prêtons. Mais, d’abord, il est impossible qu’une observation profonde des hommes ne repose pas sur une certaine conception de la vie et du bien, et ne s’y termine pas. Et ensuite Molière nous avertit que la comédie a essentiellement pour objet de corriger les mœurs