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fénelon.

de là, par l’active et hardie curiosité de son esprit, par l’indépendance essentielle et par les directions spontanées de sa pensée, par tout son tempérament enfin, il est tout près de Voltaire et surtout de Rousseau : chez lui le christianisme masque plutôt qu’il n’entrave la superbe liberté de la raison ; mais, de plus, chez lui la raison se dirige à son insu par les suggestions du tempérament.

La plupart des écrits de Fénelon sont trop spécialement théologiques pour qu’il soit possible de les étudier ici. Il en est pourtant quelques-uns qui, par leurs sujets, sont accessibles à tout le monde.

Le Traité de l’Éducation des Filles fut écrit pour la duchesse de Beauvillier qui avait cinq filles à élever. Fénelon le fit quand Saint-Cyr n’existait pas encore : il est ainsi l’un des fondateurs chez nous de l’éducation des filles Son traité est une œuvre exquise de jeunesse, solide et fine, où se révèle une sûre intuition de l’âme féminine, de ses défauts et de ses qualités, et des moyens de la prendre. Les idées abondent dans ce petit ouvrage, souvent justes, parfois chimériques, toujours intéressantes : éducation agréable, leçons de choses, emploi de l’art et du sens esthétique, exclusion de la musique, agent d’exaltation nerveuse, au profit du dessin, subordination du savoir au jugement et à l’utilité pratique, etc. Fénelon fait tout découler d’un principe : la considération du rôle de la femme dans la famille et dans le monde ; dès qu’on s’inquiète de former la femme pour son emploi futur, on a un critérium infaillible pour dresser le programme de son éducation. À ce principe s’en joint un autre, qui inspire toute la méthode : il faut suivre la nature, l’aider, la redresser au besoin, surtout la développer. Ce prêtre croit à la bonté de la nature.

Les trois Dialogues platoniciens sur l’éloquence sont pleins d’aisance, de grâce, d’esprit. Fénelon y définit son idéal, qui est l’idéal de son tempérament : une éloquence naturelle, familière, insinuante, qui persuade par sentiment plus que par logique, qui aille du cœur au cœur, et soit faite surtout de ferveur et de tendresse. Les tours et les détours de l’interrogation socratique font

    1699 ; réimp. en 1717, par le marquis de Fénelon ; Dialogues des morts, 4 en 1700, 45 en 1712, 67 en 1718 (éd. de Ramsay) ; Traité de l’existence de Dieu, 1re partie, 1713, in-12 (2e partie posthume) ; Correspondance, édit. Gosselin, Versailles, 1827-29, 11 vol. in-8. Œuvres, éd. Gosselin, Versailles, 1820 et suiv., 22 vol. in-8 (table, in-8, 1830) ; éd. Didot, 3 vol. gr. in-8, 1850. Réponse inédite à Bossuet, 1901. — À consulter : le chevalier de Ramsay, Histoire de la vie et des ouvrages de Fénelon. la Haye, 1723. in-12. De Bausset, Histoire de Fénelon, Versailles, 1808-9, 4 vol. in-8. L’abbé Gosselin. Histoire littéraire de Fénelon, 1813. gr. in-8. E. de Broglie, Fénelon à Cambrai, Paris, Plon, 1883, in-8 Crouslé, Fénelon et Bossuet, 2 vol. in-8, 1894-95. Boulvé, De l’Hellénisme chez Fénelon, Paris, 1898, in-8. L’abbé Urbain, les Premières rédactions de la Lettre à l’Académie, 1899.