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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/639

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fénelon.

fait paraître son Explication des Maximes des Saints avant les États d’Oraison. Son livre lait scandale : le voilà au plus bas.

Tout le monde l’a abandonné, hors le petit troupeau de ses amis. Le roi lui interdit d’aller à Rome se détendre, l’exile dans son diocèse, chasse ses amis de la cour. C’est ici le triomphe de l’art de Fénelon : il plie ; tout en lui est modeste, résigné ; son attitude, ses lettres font voir au public la plus douce des victimes ; on commence à le plaindre, sans le justifier. Pendant le procès en cour de Rome, il envoie là-bas le naïf abbé de Chanterac, agent confiant et docile qu’il fait mouvoir de Cambrai, et par qui il lutte contre les intrigues et les emportements de l’abbé Bossuet : il expédie à Rome mémoire sur mémoire, déplaçant la question, éludant les objections, embrouillant tout à force d’expliquer tout, et, sous prétexte d’expliquer, escamotant les doctrines insoutenables pour en substituer d’autres qu’il dérobera bientôt avec une égale aisance ; c’est un polémiste incomparable, perfide, insaisissable. Ce jeu irrite Bossuet, le logicien ferme et droit, qui fait de son mieux pour fixer les points du débat, pour débrouiller les équivoques : il frappe de plus en plus fort sur cet adversaire qui ne s’avouera jamais touché, tant qu’il ne sera pas assommé. Mais Bossuet, naïvement, publie tous ses écrits en France : Fénelon, plus malin, fait parvenir sans bruit ses défenses à Rome. Il les supprime en France, si bien que Bossuet a l’air de s’acharner sur un adversaire désarmé. Cette apparence, exploitée par les voix de quelques fidèles, retourne l’opinion publique. La légende de la cruauté brutale de Bossuet, de la douce résignation de Fénelon s’établit ; et quand enfin la cour de Rome ne peut se dispenser de condamner les Maximes des Saints, Fénelon triomphe et à Rome et en France. Il se soumet tout juste au point de vue des théologiens ; mais il se soumet de façon à saisir le public, avec une humilité glorieuse et irrésistible. Au fond, il se croit victime et martyr pour la vérité : il a confessé qu’on avait pu se tromper sur sa pensée ; il n’a pas reconnu que sa pensée se fût trompée ; ses lettres postérieures, son testament affirment que sa doctrine était vraie, et que ses ennemis avaient opprimé en lui l’innocence, la justice et la raison.

Jamais son amour-propre ne se consola de cette défaite : il couvrit mal son aigreur contre Bossuet, qui mourut trop tôt pour en sentir les effets. Mais le cardinal de Noailles survivait : Fénelon le guetta d’une haine paisible, souriante, dissimulée ; il dénonça sous main les doctrines du prélat, excita le P. Tellier contre lui, poussant à le faire condamner publiquement pour jansénisme. C’eût été la revanche des Maximes.

Il avait d’autant plus sur le cœur son humiliation, que sa fortune avait sombré dans cette affaire de quiétisme. Tout en élevant