Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/646

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
624
les origines du dix-huitième siècle.


2. LE DIX-HUITIÈME SIÈCLE.


Comment le xviiie siècle, antichrétien, cosmopolite, destructeur de toutes les croyances, négateur de la tradition, révolté contre l’autorité, violemment critique et faiblement artiste, sociologue et point du tout psychologue, est-il sorti de là ?

L’Église s’est affaiblie au xviie siècle, et ira s’affaiblissant de jour en jour. D’abord, par les disputes théologiques. L’Église pâtit du petit esprit des sectes, de leur fanatisme injurieux. Dans les querelles des jésuites et des jansénistes, de Bossuet et de Fénelon, le vrai vaincu est la religion. Les théologiens enseignent à la raison laïque, qu’ils prennent pour juge, à prononcer souverainement sur les questions de dogme. Puis, la lourde dévotion des dernières années de Louis XIV développe l’hypocrisie, dont l’impiété et la licence de la Régence seront la revanche. La cour enfonce dans les esprits l’idée qu’un dévot est un habile homme : sinon, il ne serait qu’un niais. Enfin, les manifestations temporelles de la puissance ecclésiastique révoltent les consciences. La destruction de Port-Royal paraît barbare à d’autres que les jansénistes. Tout le monde applaudit à la Révocation de l’édit de Nantes, lorsqu’elle est signée : dix ans, vingt ans après, les esprits les plus éclairés la déplorent comme ruineuse pour la France. Voilà donc où aboutissait l’éclat de la renaissance religieuse, à des cruautés, à des ruines.

Mais où donc aboutissait aussi la restauration du pouvoir monarchique ? À la guerre, à la famine, aux lourds impôts, aux vexations financières. Les fautes et les misères du règne font haïr le despotisme. L’idée de la fonction sociale de la royauté s’efface : on ne voit plus que l’exploitation de tous par un seul, le sacrifice de tous les intérêts aux passions d’un seul. La noblesse, de plus en plus inutile, s’avilit, et devient plus odieuse quand elle n’est plus qu’un moyen pour les riches d’échapper à l’impôt. À la mort de Louis XIV, on peut dire que la banqueroute de l’Église, de la noblesse et de la royauté, c’est-à-dire de toutes les puissances de l’ancien régime, est faite.

La réaction aristocratique qui se produit alors ne fait qu’empirer les choses. Les nobles essaient de ressaisir le pouvoir, d’envelopper la royauté, et de la séparer, non seulement du peuple, ce qui est fait de longue date, mais de la bourgeoisie. Ils écartent les bourgeois des emplois lucratifs et des charges honorifiques. Ils réveillent ainsi dans la bourgeoisie le sentiment de son infériorité sociale, à l’heure précisément où elle a le sentiment de sa supériorité intellectuelle, morale, économique.