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les formes d’art.

la satisfaction du public. On voit, par cet exemple, comment Crébillon entend son métier : mais que devient la tragédie, ainsi pratiquée ?


2. LA TRAGÉDIE DE VOLTAIRE.


Voltaire employa souvent ces artifices : mais il essaya souvent aussi d’y échapper. Admirateur enthousiaste et timoré de Racine, il conservera scrupuleusement les formes léguées par le xviie siècle ; il résistera de toutes ses forces aux doctrines subversives de La Motte qui voulait supprimer de la tragédie les confidents, les monologues, les récits, les unités, et le vers.

Le grand mérite de Voltaire, d’où découle son incomparable supériorité sur tout son siècle, c’est d’avoir compris la tragédie. Il a très bien vu dans Corneille et dans Racine que la tragédie est une action où se développent les types complets des caractères et des passions de l’humanité, dans lesquels tous les exemplaires imparfaits et les mélanges atténués, qui sont la réalité courante, se trouvent contenus. Voilà ce que Voltaire aperçut nettement, et ne cessa de répéter pendant soixante années. C’était là le fondement de son aversion pour le drame : il l’estimait surtout inutile, et, quand on lui parlait d’un certain Vindicatif que composait un des partisans du nouveau genre, il demandait s’il pouvait y avoir un plus grand « vindicatif » qu’Atrée. Avec une conviction véritablement profonde, il essaya d’exprimer les généralités des caractères et des passions dans toutes les tragédies qu’il écrivit, si l’on excepte quelques œuvres de ses vingt dernières années, où les personnages représentent plutôt des opinions philosophiques que des êtres moraux. Ses deux pièces les plus célèbres sont très caractéristiques à cet égard : Mérope et Zaïre. Mérope est « la mère » ; et Polyphonte, Egisthe, Narbas, tous les autres personnages ont pour fonction d’exciter « la mère » à développer toutes les agitations, toutes les douleurs, les espérances, les puissances de souffrir et d’agir d’une âme maternelle. Dans Zaïre, trois caractères sont en relation et réagissent l’un sur l’autre : Orosmane, l’amour jaloux ; Lusignan, la foi fervente ; Zaïre, l’amour passionné aux prises avec le respect filial.

Voltaire s’était très bien rendu compte aussi de l’affadissement de la tragédie sous la tyrannie des bienséances mondaines. Il se plaignait qu’on énervât tous les sujets par la politesse et la galanterie. Il voulait qu’on rendît à l’amour sa fureur, et qu’on n’en fit pas un échange de douceurs ingénieuses. Il voulait qu’on mît