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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/756

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les tempéraments et les idées.

clopédie anglaise de Chambers : mais ce fut Diderot qui conçut l’efficacité philosophique de l’entreprise. Il marqua dans son prospectus, qu’ « en réduisant sous la forme de dictionnaire tout ce qui concerne les sciences et les arts, il s’agissait de faire sentir les secours mutuels qu’ils se prêtent, d’user dé ces secours pour en rendre les principes plus sûrs et leurs conséquences plus claires ; d’indiquer les liaisons éloignées ou prochaines des êtres qui composent la nature, et qui ont occupé les hommes,… de former un tableau général des efforts de l’esprit humain dans tous les genres et dans tous les siècles ». Il croyait que « la vraie philosophie » était assez développée pour mener à bien cette vaste entreprise.

N’ayant point encore une grande notoriété, il s’associa un mathématicien déjà illustre, membre de l’Académie des sciences, Dalembert, qui, dans une Préface fameuse, en somme, donna une classification des sciences, avec une vue d’ensemble de leur genèse successive et de leurs principaux progrès. Mais deux hommes ne suffisaient pas encore : Diderot fit appel à toutes les bonnes volontés, à toutes les compétences : Voltaire, Montesquieu, Buffon, Condillac, Duclos, Marmontel, Helvétius, Raynal, Turgot, Necker, des magistrats, des officiers, des ingénieurs, des médecins, des gens du monde, tout le ban et l’arrière-ban des écrivains, des philosophes, des savants, des économistes, gens à talent et sans talent, envoyèrent des articles. Ce fut un incroyable fatras, une Babel, disait Voltaire ; il y eut d’excellentes choses à côté de dégoûtantes platitudes. Des jésuites, des jansénistes essayèrent d’insinuer les contrepoisons au milieu des poisons. Diderot veilla à tout : il maintint l’unité générale de l’intention philosophique à travers la diversité des sujets particuliers, l’incohérence des opinions individuelles. Par lui, l’Encyclopédie resta ce qu’il l’avait destinée à être : un tableau de toutes les connaissances humaines, qui mit en lumière la puissance et les progrès de la raison ; une apothéose de la civilisation, et des sciences, arts, industries, qui améliorent la condition intellectuelle et matérielle de l’humanité, ce fut une irrésistible machine dressée contre l’esprit, les croyances, les institutions du passé. Au fond, l’avocat général Omer de Fleury ne se trompait pas tant quand il dénonçait au Parlement les Encyclopédistes comme « une société formée pour soutenir le matérialisme, pour détruire la religion, pour inspirer l’indépendance, et nourrir la corruption des mœurs ».

Transposons ces termes violents en langage impartial : il est très vrai que l’Encyclopédie fit des philosophes un parti, et des idées individuelles un corps de doctrine. Elle fut la Somme de la philosophie rationnelle, et elle la vulgarisa en la rassemblant. Elle fournit d’opinions, de solutions, de plans, d’espérances sur