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le patriarche de ferney.

suite d’ouvrages importants [1], Voltaire ne met plus en cause les prêtres ou les croyants, mais la religion elle-même, la Bible, l’Évangile. Utilisant avec son esprit aigu une érudition superficielle, mais étendue, il discute l’authenticité, la véracité des écrits révélés, l’exactitude des vulgates orthodoxes ; il fait de la philologie, de l’histoire ; et sa conclusion est que, quand les livres saints ne seraient ni apocryphes, ni menteurs, ni falsifiés, ils devraient être rejetés comme immoraux et absurdes : la révélation est écartée, attendu que de pareilles fables répugnent à l’idée que la saine raison doit se faire de Dieu. C’est là par excellence la polémique voltairienne ; c’est à celle-là, non sans raison, que les générations suivantes, comme les contemporains, ont attaché le nom de l’homme ; c’est par elle qu’il a fait école, ou qu’il a été haï ; et c’est elle qui a été mise hors d’usage par une critique plus scientifique, plus impartiale, qu’elle avait rendue possible.

Voltaire ne renonce pas, du reste, à juger la religion par ses effets, dont le plus odieux est l’intolérance [2]. Il poursuit l’intolérance soit dans le passé, quand il signale la rigueur absurde du dogme qui damne les meilleurs des païens, soit dans le présent, quand il dénonce les sottises, les cruautés qui s’autorisent du nom de la religion : excommunication des comédiens, condamnations de protestants, etc. Il fait des tragédies — fort mauvaises — mais qui mettent sous les yeux les conséquences du fanatisme.

La philosophie de Voltaire est toute pratique, il poursuit la politique des résultats, il vise à convertir. Son objet est, non l’exposition seule, mais la prédication des vérités utiles à l’humanité. Les sciences ne l’occupent plus guère : on ne trouve, en plus de vingt ans, qu’un seul écrit dont elles fournissent le fond [3]. La métaphysique ne tient pas davantage de place dans son œuvre : l’affirmation de Dieu, la négation de la Providence et du miracle, voilà toute la métaphysique de Voltaire ; ajoutez-y ce fameux dada que de longue date il a emprunté à Locke, que Dieu, tout-puissant, a bien pu attribuer à la matière la faculté de penser. Mais cette métaphysique est diffuse dans une infinité d’écrits, elle les soutient ou s’y implique. Pareillement Voltaire n’explique pas sa politique par principes généraux ni raisonnements complets. Il ne procède pas par volumineux ouvrages, savants et méthodiques, qu’on ouvre à dessein de s’instruire. Il attaque la

  1. Saul (1763) ; Examen important de milord Bolingbroke (1767) ; Collection d’ancien évangiles (1769) ; Dieu et les hommes (1769) ; La Bible enfin expliquée (1776) ; Un chrétien contre six juifs (1776), etc.
  2. Conversation de l’intendant des menus avec l’abbé *** (1761) ; Olympie (1763) ; Traité sur la tolérance (1763) ; Questions de Zapata (1767) ; les Trois Empereurs en Sorbonne (1768) ; les Guèbres, ou la Tolérance (1769) ; le Cri du sang innocent (1775).
  3. Les Singularités de la nature (1768).