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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/781

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le patriarche de ferney.

Toulouse, est roué comme assassin de son fils, qui s’est pendu : des juges catholiques ont cru sans preuve que ce calviniste avait mieux aimé tuer son propre enfant que de le laisser convertir. Voltaire ramasse un faisceau de pièces originales, d’où l’innocence de la victime ressort (1762) ; il reçoit chez lui les restes de la malheureuse famille ; il fait reviser le jugement ; pendant trois ans c’est sa principale affaire, et il finit par arracher la réhabilitation de Calas. C’est l’occasion pour lui d’écrire un Traité sur la Tolérance (1763) : mais ce livre même n’est qu’un moyen de frapper l’opinion et les juges. Cependant un autre protestant, Sirven, est accusé aussi d’avoir fait périr sa fille, une faible d’esprit, qui, elle aussi, s’était tuée : Calas réhabilité, Voltaire s’occupe de Sirven (1765).

Ces affaires lui ont révélé les vices de la procédure judiciaire, l’abus absurde et féroce de la question [1] : elles le mènent à réclamer la réforme de l’administration de la justice, et il écrit (1766) le commentaire du livre des Délits et des peines que l’Italien Beccaria avait publié. Le chevalier de la Barre est roué à Arras en 1766 pour avoir chanté des chansons impies et mutilé un crucifix : Voltaire élève la voix en 1768 ; en 1775 il recueille un des camarades de La Barre, le jeune d’Etallonde ; il le fait instruire, recevoir au service du roi de Prusse, et travaille à le faire réhabiliter. Puis ce sera la veuve Montbailli (1770), le comte de Morangiès (1773), deux victimes de la justice inégalement intéressantes. Enfin ce sera Lalli, pour la mémoire duquel il écrira ses Fragments sur l’Inde : il donnera son appui au fils de la victime, et l’un des derniers billets qu’il écrira sera pour se réjouir de l’arrêt qui réhabilite le malheureux général. Par la bruyante publicité qu’il donnait à toutes les erreurs de la justice, Voltaire contribua plus que personne à la réforme de la procédure ; il fit éclater à tous les yeux les vices du système, il les rendit intolérables. À ses vieux griefs contre les Parlements jansénistes s’ajoutait une haine humanitaire contre les traditions surannées de ces corps, contre leur légèreté, leur présomption, contre leur égoïste indifférence, et la préférence qu’ils donnaient à leurs intérêts collectifs sur l’intérêt de la justice ou des particuliers : aussi applaudit-il des deux mains au coup d’État de Maupeou, à l’institution des nouveaux Conseils qui promettaient une justice plus rapide, plus sûre, plus humaine. Il fit une tragédie, les Lois de Minos (1773), sur la suppression des Parlements.

Cependant il écrivait dans son roman de l’Ingénu (1767) contre les lettres de cachet, question actuelle, s’il en fut, d’un bout à l’autre du siècle. Il attaquait dans l’Homme aux quarante écus (1768)

  1. Relation de la mort du chevalier de la Barre (1768) ; le Cri du sang innocent (1775).