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les tempéraments et les idées.

impressions d’enfance, de ses traditions de famille. Sans doute, pour le croyant des anciennes églises, la question est inutile, ou dangereuse. Mais, de plus en plus, pour notre âme nourrie de science, et à qui la science aura dit loyalement ses limites, il n’y aura pas de culture complète, si une fois au moins en la vie n’a été posé et résolu le problème religieux : et ce sera en effet l’acte final de l’éducation.


5. INFLUENCE DE ROUSSEAU.


Il nous reste à nous rendre compte de l’influence que Rousseau a exercée. Il a agi sur son siècle à la fois par ses idées et par son tempérament, et il a déterminé des mouvements considérables, soit dans la société, soit dans la littérature.

Nous avons vu déjà quelle trace profonde ont laissée ses doctrines politiques et sociales. À mesure que la Révolution usait les systèmes, dépassait Montesquieu et Voltaire, Rousseau émergeait. Il a gouverné avec Robespierre. Depuis un siècle, tous les progrès de la démocratie, égalité, suffrage universel, écrasement des minorités, revendications des partis extrêmes qui seront peut-être la société de demain, la guerre à la richesse, à la propriété, toutes les conquêtes, toutes les agitations de la masse qui travaille et qui souffre ont été dans le sens de son œuvre.

Et ce même homme a été le vrai restaurateur de la religion : hier encore on pouvait s’en étonner ; mais nous savons aujourd’hui qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre le socialisme et l’idée chrétienne. Le théisme de Robespierre, le culte de l’ « Être Suprême », la reconnaissance légale de l’immortalité de l’âme, c’est le Contrat social tout pur. Mais c’était chimère d’espérer faire vivre la religion civile. Le réveil du sentiment religieux ne pouvait se faire qu’au profit d’une religion traditionnelle.

Jean-Jacques nous apparaît aussi comme le restaurateur de la morale. Il a très bien senti qu’il était prématuré d’essayer de fonder une morale indépendante de l’idée de Dieu ; et il a repris son point d’appui sur la religion. Il a rendu aux hommes le respect d’eux-mêmes, le souci de la perfection intérieure. Mais, de plus, il a tenté une réforme sociale de la plus grande conséquence. La famille se dissolvait : il a travaillé à la resserrer. Il a prêché la sainteté du mariage le devoir réciproque des époux. On riait de l’adultère, il a osé en faire une grosse affaire. Les enfants étaient élevés hors de la présence des parents, sans affection, sans soin, sans surveillance. Il a rappris aux mères à aimer, à se donner : il en a fait des nourrices. Il a dicté aux pères comme aux mères leur devoir : il leur a proposé l’éducation des êtres qui leur devaient la