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le mouvement romantique.


2. ORIGINES ET INFLUENCES DÉTERMINANTES.


Les origines du romantisme nous sont déjà partiellement connues. Nous avons vu, à travers le xviiie siècle français, croître l’individualisme, sous la double forme d’expansion sentimentale et d’amour de la nature. Nous avons noté, dans la société du temps, des indices d’exaltation passionnelle, et de dépression mélancolique ; nous y avons vu se faire la liaison des images du monde extérieur et des dispositions intimes de l’âme. Nous avons vu, en deux maîtres de la langue, en Rousseau et en Chateaubriand, ces deux grandes tendances se déterminer, et de l’un à l’autre, les facultés discursives, le raisonnement, les idées s’atténuer, l’émotion grandir et la puissance poétique. Nous avons saisi, sous la superstition des règles et la routine du goût, des curiosités, des tentatives qui ne se rapportaient plus aux modèles classiques ; et Mme  de Staël, avec un style tout classique, nous a fait la théorie d’une littérature romantique.

Aux origines françaises se joignent les origines étrangères [1]. Ces influences, dont j’ai marqué précédemment le progrès jusqu’aux approches de la Révolution, se sont depuis trente ans précisées, étendues ; des œuvres considérables ont pénétré chez nous, apportant une force nouvelle aux instincts romantiques. L’Angleterre a eu Byron, comme Chateaubriand désolé et voyageur, pathétique et pittoresque, mais de plus ironique, satanique, et surtout poète en vers ; elle a eu Walter Scott, qui, rejetant le costume épique et les sujets antiques, vulgarisait toutes les nouveautés des Martyrs, le romanesque historique, le paysage historique, la couleur locale. Elle a eu ses lakists, Wordsworth, Southey, Coleridge, dont les tempéraments originaux, repoussant toutes les entraves classiques, font de la poésie une libre création où leur âme se révèle en reflétant l’univers.

En Allemagne, Schiller (mort en 1805) avait produit toute son œuvre, et Goethe avait donné son premier Faust, si complexe d’inspiration et si peu classique de forme : puis avaient poussé les fantaisies romantiques, sentimentales, vagues, déconcertantes souvent pour l’esprit et troublantes pour le cœur, avec Novalis, Tieck, et autres. L’Italie introduisait avant nous la révolte contre les unités classiques, et Manzoni publiait en 1820 son Comte de Carmagnola : mais l’Italie surtout avait Dante, toute la pensée et toute l’âme du moyen âge ramassées dans la Divine Comédie. L’Espagne, attardée dans l’imitation française, nous aidait pourtant à repous-

  1. J. Texte, l’Influence allemande dans le romantisme français. Revue des Deux Mondes, 1er déc. 1897. Baldensperger, Gœthe en France, 1904, Estève, Byron et le romantisme français, 1907.