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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/968

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l’époque romantique.

période, par d’assez fréquents déplacements ou affaiblissements de la césure, plus rarement par l’enjambement. La variété venait surtout de l’inégalité des éléments qui composaient chaque hémistiche : tantôt une syllabe d’un côté et cinq de l’autre, ou deux et quatre, ou quatre et deux, ou cinq et une ; et d’un hémistiche à l’autre, d’un vers à l’autre, le groupement se faisait différemment.

Si dans un vers classique on lie le second élément du premier hémistiche et le premier du second de façon à supprimer la césure médiane par le sens, on obtient un vers qui se coupe en trois parties, non plus en quatre.

N’avait-on — que Sénèque et moi — pour le séduire ? (Racine.)
Toujours aimer — toujours souffrir — toujours mourir. (Corneille.)

Ce type, rare chez les classiques, déformation accidentelle de la forme pure du vers, fut l’alexandrin romantique : il est composé de trois éléments égaux (4 + 4 + 4), qui sont remplacés par des éléments inégaux, de façon que la mesure ternaire subsiste[1]. Jamais les romantiques n’abusèrent de ce vers : ils le mêlèrent discrètement à l’alexandrin classique, pour le diversifier ; ils le ménagèrent précisément en raison des effets qu’on en peut tirer.

Puis ils prolongèrent le sens de l’alexandrin dans une partie du vers suivant, ils enjambèrent. Enfin, à l’aide des déplacements de césure, des enjambements, ils assouplirent la période ; ils évitèrent le distique et le quatrain où l’alexandrin classique retombait comme de lui-même ; et, par le mélange des phrases, jetant ici un vers de sens complet, là ramassant une idée en moins d’un vers, ailleurs arrêtant le développement grammatical au milieu, aux trois quarts d’un vers, ils donnèrent à leurs alexandrins une diversité de rythmes qui en décupla la puissance expressive.[C’est par la phrase plutôt que par la facture du vers que Victor Hugo renouvela la poésie dans ses premiers recueils, il construisit de bonne heure de larges périodes rythmiques où les alexandrins, ne se faisant plus sentir comme unités distinctes, se suivent dans un mouvement continu dont l’uniformité est rompue par la diversité des pauses et des accents. Il a soin de séparer par le sens les vers qui riment ensemble dans les pièces en rimes plates, de façon que chacune des deux rimes appartienne à des membres différents de la phrase].

  1. On trouve : 3 + 5 + 4 ; 4 + 5 + 3 ; 3 + 4 + 5 ; 2 + 6 + 4 ; 1 + 6 + 5, etc.

    De la fleur, | de l’oiseau chantant, | du roc muet. (3 + 5 + 4)
    Car partout | où l’oiseau vo | le, la chèvre y grimpe. (3 + 4 + 5)
    On entendait | aller et venir | dans l’enfer, etc. (4 + 5 + 3)