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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/990

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l’époque romantique.

poésie intime, domestique, parisienne, trop prosaïque et très réaliste ; par là il a été précurseur aussi, à sa façon. Je dois nommer encore Barbier[1], qui a fait, parmi nombre de bons vers de qualité courante, deux chefs-d’œuvre d’éloquence satirique et fougueuse : la Curée et l’Idole. Il a dénoncé avec une verve puissante, une rare largeur d’inspiration, l’égoïsme des vainqueurs de 1830, l’imprudence des pontifes du culte de Napoléon : c’était si rudement frappé et si juste, que tout ce qu’il fit depuis parut terne[2].


7. BÉRANGER[3]


Aucun des romantiques, pas même Hugo, ne pouvait rivaliser, aux environs de 1830, avec la gloire de Béranger.

Ignorés du peuple, étonnant le bourgeois, ils n’avaient en général conquis que les ateliers et quelques cercles littéraires. La Curée avait fait un bruit immense ; mais le poète populaire, le poète national, c’était le chansonnier.

Au temps où le romantisme était légitimiste et chrétien, Béranger était libéral ; il avait souffert destitution, prison, amende : mais, avec cela, il était classique : il satisfaisait pleinement les esprits que l’art romantique effarouchait.

Était-il poète ? il n’a rien que de médiocre dans les idées. Il a une philosophie et une sensibilité de café-concert. Il est irrémédiablement vulgaire. Il a le don de rapetisser, d’enniaiser tous les grands sujets, quand il y touche : la religion, par son Dieu des bonnes gens, ami de la joie et tendre aux mauvais sujets, par son agaçante conception d’un christianisme de pacotille qui met à l’aise tous les instincts matériels, par ses curés bénisseurs et bons vivants dont la perfection suprême est de ne pas être des gêneurs ;

  1. Aug. Barbier (1805-1882) ; Iambes et poèmes (1831) ; il Pianto, Lazare (1833) ; Satires et poèmes (1837), etc.
  2. Malgré mon aversion pour les énumérations de noms, je ne puis m’empêcher d’inscrire ici Gérard de Nerval (1808-1855), le traducteur de Faust (1828), romantique d’imagination et de vie, qui sombra dans la folie, délicieux écrivain pourtant de la plus saine tradition du xviiie siècle, qui sut trouver la couleur sans renoncer à la finesse, à l’esprit, à l’élégance, dans la prose exquise de ses récits de voyages et de ses contes (Sylvie, 1854). — À consulter : Gauthier Ferrières, Gérard de Nerval, 1906. — Il faudrait nommer aussi cet original Maurice de Guérin qui mourut jeune, ne laissant que des essais incomplets. Le fragment intitulé le Centaure est un poéme en prose où la puissance du sentiment naturaliste et panthéiste anime une forme pleine et ferme, sobrement, largement ]pittoresque Maurice de Guérin a l’Ame romantique, mais par ce morceau il se classe parmi les précurseurs de Leconte de Lisle. — Éditions : Reliquiæ, p. p Trébiitien, 1861, 2 vol. Journal et poèmes 1862. — À consulter : A. Lefranc, Revue bleue. 1908 (11e éd.)
  3. Béranger (1780-1857), né à Paris, publia ses recueils de Chansons en 1815, 1821 (trois mois de prison et 500 fr. d’amende). 1825, 1828 (10 000 fr. d’amende, neuf mois de prison), 1833. Œuvres posthumes, œuvres complètes. 2 vol. in-8, 1857. Ma biographie. 1857. Correspondance. 1860. 4 vol. in-8.