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l’époque romantique.

pièces. En un sens même, la chanson de Béranger est populaire par le même mérite qui a fait la popularité de La Fontaine : parce qu’elle est toute action. Si l’on se rappelle l’étude que nous avons faite du moyen âge, on comprendra à quelle puissante tradition se rattache Béranger ; l’on s’expliquera ainsi la merveilleuse adaptation de cette œuvre assez basse à notre moyen esprit, et pourquoi, seule peut-être en notre siècle, les circonstances politiques aidant, cette poésie a été véritablement populaire[1].

  1. J’ai ajouté dans cette 11e édition quelques mots sur le rapport de Béranger au public, libéral dont il exprima l’esprit. Un écrivain n’est jamais médiocre quand l’âme d’une nation presque entière se reconnaît dans ses formules et s’y trouve à l’aise. Maigre cette correction, mon jugement demeure trop sévère dans l’ensemble. L’idéalisme de Renan, sans indulgence pour Béranger, m’avait séduit. J’ai miens de dédain aujourd’hui pour toute cette « vulgarité bourgeoise ou populaire ». Je regarde de moins haut ces consciences de braves gens, médiocres sans doute par rapport à des conceptions idéales d’héroïsme ou de pureté, mais qui ont l’avantage d’être des consciences vivantes, agissantes, et non des visions de l’esprit ; cette honnêteté un peu grosse, qui vaut mieux, étant réelle, que les raffinements de doctrine qu’on ne traduit jamais en actes ; ces idées pas très hautes, pas très fines, rétrécissement ou abaissement des grandes idées morales ou métaphysiques, mais qui ont gagné à cette transformation théoriquement fâcheuse une extension, une puissance de diffusion, une aptitude à pénétrer dans les masses, que sans cela elles n’auraient jamais eues. On ne s’étonne pas que l’idéal chrétien ne se soit réalisé et répandu qu’en s’épaississant et en se dégradant : pourquoi exiger de l’idéal rationaliste et libéral qu’il s’affranchisse des conditions naturelles qui s’imposent à toute vulgarisation d’une idée ? (11e éd.).