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VOLTAIRE.

l’amour-propre. Il voulait améliorer l’ordre social. De 1755 et surtout de 1760 jusqu’à sa mort, il n’écrivit pour ainsi dire pas une page qui ne fût la critique d’un abus, la recommandation d’une réforme, une sollicitation au gouvernement ou au public pour l’une ou contre l’autre. À quatre-vingts ans il était aussi enragé qu’à soixante. Il faut être bien partial pour ne pas voir ce qu’il y a de conviction profonde et désintéressée dans ses principales attitudes.

Il était revenu d’Allemagne au moment où la nation éclairée désespérait enfin du roi et de la cour, et devenait impatiente du mal social ; où se montait la machine de guerre de l’Encyclopédie, autour de laquelle la libre pensée s’organisa en parti ; où, à côté des anciennes factions religieuses, jansénistes et défenseurs de la constitution Unigenitus, se groupaient des hommes qui travaillaient à répandre les lumières et augmenter le bien-être général, philosophes, économistes, patriotes ; où toutes les voix individuelles de raison et de liberté étaient assurées d’éveiller de larges échos dans tous les états et toutes les provinces ; où les hommes qui avaient le talent d’exprimer se sentaient de plus en plus soulevés, poussés par la foule qui les écoutait.

Les forces de conservation sont grandes : plus que la cour, irrégulière et inconséquente, la Sorbonne et le Parlement de Paris opposent à la « raison » une résistance dont la condamnation de la thèse de l’abbé de Prades (1752), celles de l’Esprit (1758) et de l’Émile (1762), la suppression et la suspension de l’Encyclopédie (1752 et 1758), la censure de Bélisaire (1767) sont les épisodes principaux.