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LA JEUNESSE DE VOLTAIRE.

cles : les lois de la nature valent également contre les uns et les autres. Il affranchissait la morale de la religion, réclamait les droits de la conscience erronée, rejetait la contrainte et l’autorité en matière de croyance, et la règle même du consentement universel. Il exerçait avec sérénité, sans fanfaronnade, la plus absolue indépendance d’esprit, et donnait l’exemple de la libre critique qui ne connaît pas de domaine réservé et qui soumet à l’examen de la raison tous les mystères, celui de la religion comme celui de la royauté. Le premier, il habitua les gens du monde à employer contre les dogmes de l’Église d’autres armes que celles du bon sens et de la logique. Il mit au service de la raison philosophique l’immense arsenal de la théologie protestante ; il lui apprit toutes les difficultés philologiques et historiques qui choquent la théologie romaine, et il lui fit voir que l’étude de la religion fournit les moyens de renverser la religion.

Bayle fut entendu. Il enchanta La Fontaine. Ce bourgeois salé, Mathieu Marais, dans le huis clos de son journal, se déclara « Bayliste ». Il conquit même des dames. Mme de Mérignac le goûtait comme « un esprit sublime, élevé, vif, fort, d’une philosophie très pyrrhonienne ».

La raison s’aventurait même sur le terrain politique et social. Très prudemment, très adroitement, clairement pourtant, La Bruyère traduisait des sentiments déjà répandus dans la bourgeoisie, comme le mépris du courtisan et la haine des financiers : de la peinture des caractères il passait à la critique de quelques abus, qu’il appelait « usages », le pri-