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Page:Laplace - Œuvres complètes, Gauthier-Villars, 1878, tome 14.djvu/163

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On sera convaincu de ce résultat important du progrès des lumières si l’on se rappelle qu’autrefois une pluie ou une sécheresse extrême, une comète traînant après elle une queue tort étendue, les éclipses, les aurores boréales, et généralement tous les phénomènes extraordinaires étaient regardés comme autant de signes de la colère céleste. On invoquait le ciel pour détourner leur funeste influence ; on ne le priait point de suspendre le cours des planètes et du Soleil : l’observation eût bientôt fait sentir l’inutilité de ces prières ; mais, parce que ces phénomènes, arrivant et disparaissant à de longs intervalles et sans causes apparentes, semblaient contrarier l’ordre de la nature, on supposait que le ciel les faisait naître et les modifiait à son gré pour punir les crimes de la Terre. Ainsi la longue queue de la comète de 1456 répandit la terreur dans l’Europe déjà consternée par les succès rapides des Turcs qui venaient de renverser le Bas-Empire ; et le pape Callixte ordonna des prières publiques dans lesquelles on conjurait la comète et les Turcs. Cet astre, après quatre de ses révolutions, a excité parmi nous un intérêt bien différent. La connaissance des lois du système du Monde, acquise dans cet intervalle, avait dissipé les craintes enfantées par l’ignorance des vrais rapports de l’homme avec l’Univers ; et Halley ayant reconnu l’identité de la comète avec celles des années 1531, 1607 et 1682, il annonça son prochain retour pour la fin de 1758 ou le commencement de 1759. Le monde savant attendit avec impatience ce retour qui devait confirmer l’une des plus grandes découvertes que l’on eût faites dans les sciences, et accomplir la prédiction de Sénèque lorsqu’il a dit, en parlant de la révolution de ces astres qui descendent d’une énorme distance : « Le jour viendra que, par une étude suivie de plusieurs siècles, les choses actuellement cachées paraitront avec évidence, et la postérité s’étonnera que des vérités si claires nous aient échappé. » Clairaut entreprit alors de soumettre à l’analyse les perturbations que la comète avait éprouvées par l’action des deux plus grosses planètes, Jupiter et Saturne. Après d’immenses calculs, il fixa son prochain passage au périhélie, vers le commencement d’avril 1759 ; ce que l’observation ne tarda pas à vérifier. La régularité que l’Astronomie nous