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Page:Laplace - Œuvres complètes, Gauthier-Villars, 1878, tome 14.djvu/166

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C’est ainsi que le même fait, récité devant un nombreux auditoire, obtient divers degrés de croyance, suivant l’étendue des connaissances de ceux qui l’écoutent. Si l’homme qui le rapporte en parait intimement persuadé et si son état et ses vertus sont propres à inspirer une grande confiance, quelque extraordinaire que soit son récit, il aura, par rapport aux auditeurs dépourvus de lumières, le même degré de vraisemblance qu’un fait ordinaire rapporté par le même homme, et ils lui ajouteront une foi entière. Cependant, si quelqu’un d’eux a eu occasion d’entendre des faits contraires affirmés par d’autres hommes également respectables, il sera dans le doute ; et le fait sera jugé faux par les auditeurs éclairés qui le trouveront opposé, soit à des faits bien avérés, soit aux lois immuables de la nature. Quelle indulgence ne devons-nous donc pas avoir pour les opinions différentes des nôtres, puisque cette différence ne dépend souvent que des points de vue divers où les circonstances nous ont placés ? Éclairons ceux que nous ne jugeons pas suffisamment instruits ; mais, auparavant, examinons sévèrement nos propres opinions, et pesons avec impartialité leurs probabilités respectives.

La différence des opinions dépend encore de la manière dont chacun détermine l’influence des données qui lui sont connues. La théorie des probabilités est si difficile, elle tient à des considérations si délicates, qu’il n’est pas surprenant qu’avec les mêmes données deux personnes trouvent des résultats différents, surtout dans les matières trop compliquées pour être soumises à un calcul rigoureux. L’esprit a ses illusions comme le sens de la vue ; et, de même que le toucher rectifie celles-ci, la réflexion et le calcul corrigent également les premières. La probabilité fondée sur une expérience journalière, ou exagérée par la crainte ou l’espérance, nous frappe plus qu’une probabilité supérieure qui n’est qu’un simple résultat analytique ; il serait donc à désirer que dans tous les cas on put assujettir les probabilités au calcul ; mais le plus souvent la chose est impossible, et nous sommes forcés de nous en rapporter à des aperçus quelquefois trompeurs. Alors, l’analogie, l’induction, une saine critique, un tact donné par la