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Page:Laplace - Œuvres complètes, Gauthier-Villars, 1878, tome 6.djvu/250

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d’extraordinaire et semblaient contrarier l’ordre naturel, on les regardait comme autant de signes de la colère céleste.

Aux frayeurs qu’inspirait alors l’apparition des comètes a succédé la crainte que, dans le grand nombre de celles qui traversent dans tous les sens le système planétaire, l’une d’elles ne bouleverse la Terre. Elles passent si rapidement près de nous que les effets de leur attraction ne sont point à redouter ; ce n’est qu’en choquant la Terre qu’elles peuvent y produire de funestes ravages. Mais ce choc, quoique possible, est si peu vraisemblable dans le cours d’un siècle, il faudrait un hasard si extraordinaire pour la rencontre de deux corps aussi petits relativement à l’immensité de l’espace dans lequel ils se meuvent, que l’on ne peut concevoir à cet égard aucune crainte raisonnable. Cependant la petite probabilité d’une pareille rencontre peut, en s’accumulant pendant une longue suite de siècles, devenir très grande. Il est facile de se représenter les effets de ce choc sur la Terre. L’axe et le mouvement de rotation changés, les mers abandonnant leur ancienne position pour se précipiter vers le nouvel équateur, une grande partie des hommes et des animaux noyés dans ce déluge universel ou détruits par la violente secousse imprimée au globe terrestre, des espèces entières anéanties, tous les monuments de l’industrie humaine renversés, tels sont les désastres que le choc d’une comète a dû produire, si sa masse a été comparable à celle de la Terre. On voit alors pourquoi l’Océan a recouvert de hautes montagnes, sur lesquelles il a laissé des marques incontestables de son séjour, on voit comment les animaux et les plantes du Midi ont pu exister dans les climats du Nord, où l’on retrouve leurs dépouilles et leurs empreintes ; enfin on explique la nouveauté du monde moral, dont les monuments certains ne remontent pas au delà de cinq mille ans. L’espèce humaine réduite à un petit nombre d’individus et à l’état le plus déplorable, uniquement occupée pendant très longtemps du soin de se conserver, a dû perdre entièrement le souvenir des sciences et des arts, et quand les progrès de la civilisation en ont fait sentir de nouveau les besoins, il a fallu tout recommencer, comme si les hommes eussent été placés nouvellement sur