Page:Laplace - Œuvres complètes, Gauthier-Villars, 1878, tome 7.djvu/21

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux. L’esprit humain offre, dans la perfection qu’il a su donner à l’Astronomie, une faible esquisse de cette intelligence. Ses découvertes en Mécanique et en Géométrie, jointes à celles de la pesanteur universelle, l’ont mis à portée de comprendre dans les mêmes expressions analytiques les états passés et futurs du Système du monde. En appliquant la même méthode à quelques autres objets de ses connaissances, il est parvenu à ramener à des lois générales les phénomènes observés et à prévoir ceux que des circonstances données doivent faire éclore. Tous ses efforts dans la recherche de la vérité tendent à le rapprocher sans cesse de l’intelligence que nous venons de concevoir, mais dont il restera toujours infiniment éloigné. Cette tendance propre à l’espèce humaine est ce qui la rend supérieure aux animaux, et ses progrès en ce genre distinguent les nations et les siècles, et font leur véritable gloire.

Rappelons-nous qu’autrefois, et à une époque qui n’est pas encore bien reculée, une pluie ou une sécheresse extrême, une comète traînant après elle une queue fort étendue, les éclipses, les aurores boréales et généralement tous les phénomènes extraordinaires étaient regardés comme autant de signes de la colère céleste. On invoquait le ciel pour détourner leur funeste influence. On ne le priait point de suspendre le cours des planètes et du Soleil : l’observation eût bientôt fait sentir l’inutilité de ces prières. Mais parce que ces phénomènes, arrivant et disparaissant à de longs intervalles, semblaient contrarier l’ordre de la nature, on supposait que le ciel les faisait naître et les modifiait à son gré pour punir les crimes de la Terre. Ainsi la longue queue de la comète de 1456 répandit la terreur dans l’Europe, déjà consternée par les succès rapides des Turcs qui venaient de renverser le Bas-Empire. Cet astre, après quatre de ses révolutions, a excité parmi nous un intérêt bien différent. La connaissance des lois du Système du monde, acquise dans cet intervalle, avait dissipé les craintes enfantées par l’ignorance des vrais rapports de l’homme avec l’uni-