Page:Laprade - Œuvres poétiques, Les Symphonies, 1878.djvu/149

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Puis, libres et gardant un calme qui m’étonne,
Brouter avec lenteur l’herbe rare d’automne.
Alors au bord du pré je m’arrête, et souvent,
Jaloux de ce repos, je leur parle en rêvant :

Salut ! ô vieux amis, vieux nourriciers de l’homme,
Qui depuis six mille ans creusez votre sillon,
Et subissez en paix le joug et l’aiguillon !
Des noms les plus sacrés il faut que je vous nomme.

Géants, à qui suffit un peu d’herbe et de fleurs,
Qu’à la main d’un enfant un grain de sel amorce,
J’adore en vous voyant, ô vieux souffre-douleurs !
Deux attributs divins, la douceur dans la force.

Si vous sentiez l’orgueil, si, las de nos mépris,
Dans les champs du labour transformés en arènes,
Vous tourniez contre nous vos armes souveraines,
Les bouviers et les chars voleraient en débris.

Mais soumis à la main qui frappe et qui récolte,
Comme si vous aviez quelque lointain espoir,
Vous tracez devant nous le sentier du devoir,
Et vous obéissez quand l’homme se révolte.

Laissez-moi donc flatter votre rude poitrail ;
Je vous aime entre tous, ouvriers des vieux âges :
Votre exemple est offert aux plus forts, aux plus sages ;
Soyez bénis, taureaux, symbole du travail.

Pour m’instruire avec vous j’ai quitté les retraites,
Les bois qui me parlaient, animés par les vents ;