Page:Laprade - Œuvres poétiques, Les Symphonies, 1878.djvu/151

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Mais l’esprit de nos jours, sombre ennemi du beau,
Et dont l’étroit savoir insulte à la nature,
De sa difformité, posant partout le sceau,
A corrompu ta race, ô noble créature !

Dans ces monstres épais qu’il te donne pour fils,
Je cherche, hélas ! en vain, ta fierté disparue.
Lui déjà, dans son rêve, ô vieux roi de Memphis,
Il t’arrache aux honneurs de l’antique charrue !

Entends, au bout des prés, cet affreux sifflement :
C’est ton rival qui passe, et le monde l’acclame.
Doux et noble ouvrier, place au vil instrument ;
Place au corps monstrueux qui vient détrôner l’âme.

Que l’esprit désormais passe dans le métal !
Mais en donnant au fer la vitesse et la vie,
Ô pâle humanité, subis l’arrêt fatal :
À l’œuvre de tes mains tu seras asservie !

Accepte un joug plus dur que celui des taureaux ;
Plus de soleil, d’air pur et d’horizons sans bornes ;
Va pleurer longuement, dans les ateliers mornes,
Ce travail libre et fier qui faisait les héros !

Moi, tant qu’il restera quelque Celte aux mains rudes,
Du taureau de labour gardant le sang bien pur,
J’irai pour adorer, dans son chalet obscur,
L’antique liberté, fille des solitudes.

Disciple et confident des êtres dédaignés,
Je suivrai les troupeaux sur les sommets bleuâtres ;