Page:Laprade - Œuvres poétiques, Les Symphonies, 1878.djvu/282

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Que vous refuseriez l’amour et le génie,
Si Dieu vous les offrait avec la pauvreté ;
Que vous n’auriez jamais pour la Muse bannie
Un seul regret, pas plus que pour la liberté !

On dit vos cœurs tout pleins d’ambitions mort-nées ;
On dit que vos yeux secs se refusent aux pleurs ;
Qu’avec vous le rameau des nouvelles années
Porte un fruit corrompu, sans avoir eu des fleurs.

Mais je vous connais mieux, malgré votre silence ;
Le poëte a chez vous bien des secrets amis.
D’autres vous ont crus morts et vous pleurent d’avance,
Frères de Roméo, vous n’êtes qu’endormis !

Qu’importe un jour d’attente, une heure inoccupée !
Tous vos lauriers d’hier peuvent encor fleurir ;
Vous qui portiez si bien et la lyre et l’épée,
Vous qui saviez aimer, vous qui saviez mourir !

Hier, une étincelle éveillait tant de flamme !
Hier, c’était l’espoir et non le doute amer ;
Un seul mot généreux, tombé d’une grande âme,
Vous soulevait au loin comme une vaste mer.

Aux buissons printaniers tout en cueillant des roses,
Vous saviez des hauts lieux gravir l’âpre chemin,
Et pour vous y conduire, amants des saintes choses,
Elvire ou Béatrix vous prenait par la main.

Vous les suivrez encor sur la route choisie !
Vous gardez pour flambeau leurs regards fiers et doux ;