Page:Laprade - Œuvres poétiques, Les Symphonies, 1878.djvu/88

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Et les mille débris de ma vie orageuse…
J’enfle dans la tempête, et je suis le torrent !

Sur l’or d’un sable pur, sur les fines pelouses,
Le flot n’a qu’un murmure, et jamais de chanson.
J’entends à mes côtés, dans l’herbe et le buisson,
Mille gais sifflements dont les eaux sont jalouses.

Il est des bruits joyeux même au fond des grands bois :
Je mêle à ces accords ma rumeur incessante ;
L’eau fait dans leur concert la note gémissante.
L’homme devient rêveur, s’il ne pleure, à ma voix.

Je vois naître et mourir la brise passagère
Et les oiseaux rieurs dont la voix lui répond ;
Pour avoir, même un jour, cette gaîté légère,
Je descends de trop haut et viens de trop profond.

L’eau circule depuis que la nature existe.
J’ai pénétré la terre et j’ai tout visité ;
Un douloureux secret remplit l’immensité,
Moi, j’en murmure un mot : c’est pourquoi je suis triste.

J’en parle aux jours sereins, j’en parle aux sombres nuits
Le vent, parfois, retient sa voix intermittente ;
Dans ses rares fureurs, la foudre est inconstante ;
Moi, je suis éternel, ainsi que tes ennuis.

Mon flot dit, à travers le calme ou la tempête,
Ce mot affreux : toujours ! de tant de pleurs baigné ;
Ce mot, par la souffrance aux humains enseigné,
Je l’appris de la mort, et je vous le répète.