Page:Laprade - Œuvres poétiques, Les Voix du silence, 1880.djvu/156

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Il se doit aux vaincus ; à tes nobles revers
Laisse-moi consacrer l’obole de mes vers.

Près de ce lac heureux d’où l’œil charmé regarde
Fuir jusqu’à l’Apennin la campagne lombarde,
Ils tombent vaillamment tous ces fiers insurgés ;
Leur dernière cartouche, au moins, les a vengés.
Maintenant, viens, ô Mort ! et sois leur prompt refuge ;
Viens ! des mains du soldat moins cruel que le juge ;
Viens ! épargne au vaincu les lenteurs du bourreau
Ou l’infernale nuit du « carcere duro ».

Vers les flots, à travers le taillis qui surplombe,
Sanglant, Marco se traîne ; il veut cacher sa tombe.
Moins fier, pour mourir libre et tromper le chasseur,
Le loup, blessé, des bois sait gagner l’épaisseur ;
Les chiens flairent en vain l’herbe que son sang mouille,
L’homme avide et cruel n’aura pas sa dépouille.

Mais ton corps s’affaissant tombe, et bien loin du bord.
Est-ce enfin, ô proscrit, le repos de la mort ?
Ah ! son sein brûle encor du feu de la pensée,
Plus rongeur que la balle en sa chair enfoncée.
Il souffre tous les maux si longuement soufferts ;
Il voit sa mère en deuil et sa patrie aux fers.
Le délire lui rend toute une sombre histoire,
Tous ses efforts trompés, tous ses travaux sans gloire,
Et ressuscite au cœur du soldat, de ramant,
Les douleurs qu’on avoue... et le secret tourment
Car à tous les amours, sous ce ciel, à cet âge,
L’âme, sans s’appauvrir, se donne et se partage ;
Et parfois un sourire, y réveillant l’honneur,
Jette à la liberté son plus fier défenseur.