Page:Laprade - Œuvres poétiques, Les Voix du silence, 1880.djvu/210

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De l’Alpe au front d’argent, à la noire ceinture,
Des jardins du soleil semés de pommes d’or.

Non ! je ne dois pas tout, ma pensée et mon rave,
Même au sol des aïeux où j’ai tant fait moisson,
A ces bois où je vais, quand l’automne s’achève,
De la bise et du pâtre écouter la chanson.

J’entends aussi la Muse au pied des toits qui fument,
Autour des flots humains dans la ville endormis,
Dans ces murs où, pour moi, chaque hiver se rallument,
A défaut du soleil, tant de foyers amis.

J’y vois la poésie en sa fleur m’apparaître
Avec un brin de mousse au front de ce portail,
Avec la giroflée à cette humble fenêtre,
A cette vitre où luit la lampe du travail.

Je la poursuis, sans cesse, au bord de vos deux fleuves,
Je la trouvais, jadis, sous vos tilleuls en fleurs.
La Muse a pris sa part de toutes vos épreuves ;
Dans l’ombre à tous vos deuils elle a donné des pleurs.

Sur les pas de l’aumône, en sa douce visite,
Elle apporte un sourire aux plus sombres quartiers ;
Dans vos ardents faubourgs je l’entends qui palpite
Avec cent mille cœurs et cent mille métiers.

Souvent, à l’improviste, au détour d’une rue,
Un jour où l’air est plein de brume et de soucis,
Une vieille amitié, devant moi reparue,
Fait rayonner sa flamme en mes yeux éclaircis.