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LIVRE DES ADIEUX.

Son orgueil a visé plus haut qu’à la richesse ;
Il ne lui suffit pas d’un vulgaire bonheur ;
A travers la folie, à travers la sagesse,
Elle a vécu mille ans de ce seul mot : l’honneur ?
L’honneur, c’était la sève et le sang de nos veines,
Animant tous les cœurs égaux malgré les lois,
Montant des pieds de l’arbre à ses branches lointaines
Jusqu’au royal sommet du grand chêne gaulois.
S’il tarit, si le Christ, dont la foule se raille,
Des gouttes de son sang ne veut plus le nourrir.
Si ce Dieu perd chez nous sa dernière bataille…
Le matin de ce jour, tâchons de bien mourir.

II

Partout l’effroi, partout de sinistres présages !
On m’enseigne, et j’entends, la rougeur sur le front.
Que l’âme a disparu sous le scalpel des sages.
Que la bête nous reste et que les dieux s’en vont.
Toutest matière en moi, tout meurt ; le ciel est vide !
Un esprit l’habitait, seul principe du bien ;
J’interrogeais, là-haut, un père, un maître, un guide…
Et d’horribles pédants m’ont répondu : « Plus rien ! »
Rien ! c’est ton dernier mot, ô science moderne.
Jouissons, s’il se peut ; rien avant, rien après !