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LES FIANÇAILLES.


« Oui, le sol est fécond, plaisant est le manoir ;
Vos fruits, bons à goûter, sont radieux à voir ;
Mais l’or de vos froments et vos pêches vermeilles,
Les grappes de rubis enchâssés dans vos treilles,
N’ont pas plus de rayons et de fraîches couleurs
Que les yeux de Pernette et que sa joue en fleurs.
Le bord de vos étangs n’a peuplier ni frêne
Si souples et si droits que sa taille de reine.
Plus joyeux et plus doux que son âme sans fiel,
Vos nids n’ont pas d’oiseaux et vos ruches de miel ;
Et vos prés, votre vigne, enfin tout l’héritage,
Rien ne vaut ce trésor caché dans le ménage.
Jamais dans la maison plus d’ordre et moins de bruit
N’ont si bien témoigné du soin qui la conduit.
Tout abonde et reluit sous les doigts de Pernette ;
On dirait qu’une fée a prêté sa baguette.
Chaque heure est bien remplie : on voit, dès le matin,
Briller sur le dressoir la faïence et l’étain ;
Le soir, près du foyer, lorsque l’on s’agenouille,
La plus lente ouvrière a fini sa quenouille.
Les coffres ont du drap et du linge à foison :
La basse-cour suffit à nourrir la maison.
L’art de la ménagère a fait entrer, peut-être,
Plus d’écus au tiroir que le travail du maître. »

— Bonne femme au logis vaut son poids de bon or,
Dit Jacque, et ma Pernette y vaudra plus encor ;
Mais Pierre n’aurait pas la fillette et ma vigne,
Si de la plaine aux monts j’en savais un plus digne.
C’est un cœur, celui-là ! chaud comme le soleil ;
Un rude laboureur, qui n’a pas son pareil
Pour tracer un sillon aussi droit qu’une règle,