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LE LIVRE D’UN PÈRE.


Qu’on ne me parle plus de ces peuples, nos frères !
Où sont-ils, et lequel nous a tendu la main ?
Je suis Français ! la France a les destins contraires :
J’ai souci d’elle seule, et non du genre humain.

Oui, nous sommes tombés, vaincus par notre faute !
Nous avons manqué d’âme et quitté les sommets :
L’abîme est bien profond, car la cime était haute…
Ceux qui rampent toujours seuls ne tombent jamais.

Oui, la France est coupable, et s’accuse elle-même ;
Mais lequel est plus pur, de ses voisins jaloux ?
Lequel peut, à bon droit nous lancer l’anathème ?
Quel peuple sans péché se lève contre nous ?

Qu’ils se taisent ! Nous seuls et l’esprit de nos pères
Restons juges du crime et des devoirs trahis.
Par fierté, par amour, soyons juges sévères…
C’est le servir bien mal que flatter son pays.

Mais plus nos doigts sanglants sonderont de blessures,
Plus il apparaîtra de hontes au grand jour ;
Plus la sainte patrie aura subi d’injures,
Plus le deuil sera grand… plus grand sera l’amour !

Je t’aimais glorieuse, et t’adore insultée ;
Je me sens mieux ton fils en pleurant tes revers,
France ! Ô mère ! ô grandeur que j’ai trop peu chantée,
À toi mon dernier souffle, à toi mon dernier vers !

Enfants ! si votre père, en butte à quelque outrage,
Vieux, proscrit, mutilé, portait son propre deuil,