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PERNETTE.


Encore un Te Deum comme ceux d’aujourd’hui…
Nos vieux sapins branlants dureront plus que lui. »

Or, sans attendre un mot de prudence ou de blâme
Qui rompît ce conseil adopté par son âme,
Pierre, à d’autres qu’à lui sans plus avoir recours,
D’un coup de volonté trancha tous les discours.
Par les pleurs de sa mère exalté davantage,
Il lui prit les deux mains, baisa ce cher visage.
Puis, d’un ton qui ne veut plus être contredit,
Il parla, le front haut, fermement, et leur dit :

« Je ne servirai pas ! je n’aurai pas de maîtres ;
Je vivrai, je mourrai sur le sol des ancêtres ;
Je vais dans la forêt joindre les insoumis,
Et j’y ferai la guerre à mes vrais ennemis.
Mon corps ne quittera pas plus que ma pensée
Le pays de ma mère et de ma fiancée.
Si chacun doit s’armer et combattre toujours,
Je serai le soldat de mes propres amours.
Voyez ce vieux fusil, à cette cheminée ;
Je le prends, nous ferons tous deux ma destinée.
Dans les murs de Lyon, contre d’autres bourreaux,
Mon père le porta, libre et fier, en héros.
Blessé, proscrit, caché sous ce vieux toit de chêne,
Il est mort sans fléchir dans l’amour, dans la haine.
Je ne le vaudrai pas…, mais je l’imiterai.
Mère, que Dieu vous garde, et je me garderai ! »

Et la mère, achevant son muet sacrifice,
Pleurait sans écarter l’un ou l’autre calice ;
Entre ces deux périls, n’osant former un vœu,