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Page:Laprade - Œuvres poétiques, Pernette, Lemerre.djvu/57

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PIERRE ET PERNETTE.


Sans faire un pas vers elle… il craindrait de troubler
La vision furtive et prête à s’envoler.
A peine, en l’éveillant, au long cri qu’elle pousse,
La chère voix l’arrache à cette erreur si douce.
Muet, les bras ouverts, il hésite et ne croit
Qu’au milieu du baiser qu’il donne et qu’il reçoit,
Quand tous deux, enlacés comme l’orme et le lierre,
Eurent bien dit les noms de Pernette et de Pierre !

Et ce furent des pleurs, des mots à demi-voix,
Brisés par les sanglots et renoués vingt fois,
Des cris et des soupirs, la douleur, l’amour tendre…
Ineffable concert, hymne qu’on ne peut rendre ;
Pas plus qu’en de vains sons, en des mots sans couleur
On n’exprime la sève et l’arôme des fleurs,
Qu’on ne fait circuler dans l’image inutile
Les clartés de l’aurore et sa chaleur subtile,
Qu’on ne peint le bruit vague et les rythmes secrets
Et la fraîcheur du souffle émanés des forêts.

La sainte explosion du cri de la nature
Entre ces cœurs vaillants fut brève autant que pure,
De leur ivresse austère ils sortirent joyeux :
La trace de ces pleurs s’effaça de leurs yeux.
Tous deux redevenaient maîtres de leur courage,
Et Pernette, en ces mots, accomplit son message :

« Ami, je ne viens pas t’apporter de l’espoir ;
Le motif est amer de notre doux revoir,
Hélas ! et ce n’est point pour ce charme d’une heure
Que j’ose ainsi laisser mon père et ma demeure.
Rien ne présage encor notre lune de miel ;