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la chasse aux vaincus.

Chasse à courre ! et poussez contre ces boudeurs fauves !
Forcez-les bravement jusqu’au fond des alcôves.
Figurez-vous des gens affreux, hideux, sournois,
Ayant voiture, hôtel, château, vignes et bois,
Payant de bons impôts et montant bien leur garde,
Aimant beaucoup leurs fils qui portent la cocarde,
Et qui vont, pour la France et le gouvernement,
Au Mexique, au Japon, mourir — tout bonnement ; —
Des gens qui, tous les soirs, à la faveur des lustres,
Reçoivent leurs voisins, des obscurs, des illustres ;
Qui font traîtreusement circuler des plateaux
Chargés de lait d’amande et de petits gâteaux,
Et qui, les pieds au feu, la porte étant bien close,
Osent, dans leur maison, parler de quelque chose,
Rire et penser tout haut devant quelques amis
Absorbes par le whist et peut-être endormis ;
Qui lisent un journal, — averti, je l’avoue, —
Au nez des gros budgets font quelquefois la moue,
Et sont assez hardis, quand ils ont pris le thé,
Pour prononcer tout bas le mot de liberté !
Dont les plus furieux, retirés sur leur terre,
Visitent, au mois d’août, la Suisse et l’Angleterre,
Trouvent le Paris neuf d’un prosaïque effet,
Et ne vont pas dîner chez monsieur le préfet !
Horreur !… de tels brigands tolérés dans nos villes !
Que dis-je ? ils sont aimés, estimés et tranquilles.
On ne leur ferme pas le seuil de l’indigent ;
On leur permet encor de donner leur argent !
Ils ne sont-pas pendus, ces chouans hypocrites.
Noyés, guillotinés, sabrés !… Ils en sont quittes
Pour être dénoncés quatre ou cinq fois le jour,
Et pour les coups de pied des Pégases de cour.