Page:Laprade - Œuvres poétiques, Psyché, Lemerre.djvu/62

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Rêve par qui j’aimais, espérance secrète,
Sous le couteau sanglant, c’est toi que je regrette.
Ah ! lorsque du repos je touche enfin le seuil,
Pourquoi me rappeler que j’emporte ton deuil ?
Es-tu là pour me suivre en un lointain royaume ?
Où t’ai-je vu ? Réponds. Où vas-tu, doux fantôme ?… »

Les génisses, les bœufs au front de fleurs paré,
Et les captifs tombaient sous le couteau sacré.
La terre boit le sang. Les membres qui ruissellent,
Sur les pins odorants du bûcher s’amoncellent.
Deux victimes encore… et ce sera ton tour,
Ô toi par qui la terre est veuve de l’amour !

Mais la forêt frémit. D’un arc caché dans l’ombre,
Un trait vole, suivi par des flèches sans nombre.
Le sacrificateur tombe, le cœur percé,
Dans les flots "du sang noir que sa main a versé.
Mille ennemis, couverts par l’épaisseur des chênes,
Descendent, tout à coup, des collines prochaines.
Un nuage de dards pleut sur le camp surpris.
Les chasseurs étrangers, avec d’horribles cris,
Précipitant leur nombre, égorgent la peuplade,
Comme un troupeau de daims poussés dans l’embuscade
Les guerriers à genoux, sur le tertre divin,
La rage dans le cœur, se relèvent en vain.
Tous ceux de la tribu, près de son dieu frappée,
Sont emmenés captifs, ou meurent par l’épée,
Et parmi le butin, les armes et les chars,
Les troupeaux des vaincus dans la forêt épars,
Psyché sous ses liens tombe, sans épouvante,
Chez des peuples nouveaux, esclave mais vivante.