Page:Laprade - Les Symphonies - Idylles héroïques, Lévy, 1862.djvu/23

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la nature, tout se passe chez nous dans un sentiment vague et qui nous laisse indécis sur la signification de l’œuvre. L’aspect du site auquel une poétique intelligence, un savant pinceau, ont conservé le vrai caractère de ses formes, l’harmonie de ses couleurs, jusqu’à la fluidité de l’air et de la lumière, jusqu’à l’infini des perspectives, et d’où les humides senteurs de la végétation semblent s’exhaler encore, le paysage le plus vrai et le plus idéal à la fois, suscite en nous des sentiments innommés, des aspirations sans portée précise, des rêveries et non pas des idées ; c’est là aussi l’effet de la musique, particulièrement de la musique instrumentale. En l’absence de toute parole qui en définisse l’intention morale, souvent même aidée de la parole, l’harmonie de l’orchestre ne saurait avoir qu’une signification indéterminée, comme l’harmonie d’un site de la nature.

Le paysage est une symphonie.

Le sentiment, la passion, la pensée elle-même, s’expriment sans doute dans le paysage ; l’âme et la voix humaine peuvent s’y faire entendre, mais jamais seules, toujours combinées avec des voix inférieures, toujours accompagnées sinon dominées par les voix de la nature. L’art consiste à maintenir la prédominance au rôle de l’âme, au cœur humain, à la mélodie. Le maître ne doit pas souffrir que le sentiment et la pensée soient étouffés sous cette pluie d’accords et de couleurs, sous cette végétation exorbitante des formes et des sons, sous cette abondance de fleurs harmonieuses qui, dans l’art comme dans la nature, doivent entourer, embellir, couronner, sans jamais la faire disparaître, la grande figure de l’homme.

Cette réhabilitation de la nature, contemporaine, au XVe siècle, de l’apparition de la musique et du démembrement de la peinture, n’a-t-elle rien aujourd’hui de