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A LA PENSÉE FRANÇAISE



vicomte de Fontac, parlant de la pluie, du beau temps, quand d’une voix mielleuse Mademoiselle Marthe vint annoncer :

— Le souper de Monsieur l’abbé est servi.

— Voilà qui est parler, mon enfant, s’écria le cha- noine.

Et, entraînant son hôte, il se glissa sur la pointe des pieds jusque dans la salle à manger.

— Asseyez-vous là, mon jeune ami, en face de moi… Marthe, ma fille, tenez-nous compagnie, vous devez être aux abois.

— Monsieur l’abbé, je n’ai pas l’appétit d’une mouche.

— Vous savez bien que je n’aime pas cette raison-là ; elle cache toujours quelque malice. Les femmes qui manquent d’appétit sont ou malades, ou coquettes, ou acariâtres. Vous vous portez comme un charme et vous avez un caractère charmant ; donc vous avez faim… Mettez votre couvert.

— Monsieur l’abbé, je crains de vous gêner.

M. de Brionne, qui avait déjà fait le signe de la croix pour dire son Benedicite, se contenta d’allonger l’index vers la place qu’occupait quelquefois Mademoiselle Marthe ; et comme ce geste ne souffrait aucune réplique, la prière de l’abbé n’était pas achevée que le couvert de la gouvernante était mis.


…………

Le service de table de l’abbé de Brionne ne laissait rien à désirer au plus minutieux et plus gourmet convive. Le linge uni était de Flandre et d’une blancheur éblouissante ; le vin colorait de ses rubis deux flacons de cristal placés l’un à la droite du maître, l’autre à celle du vicomte ; l’argenterie était forte, pesante et poinçonnée d’un écusson compliqué. Une lampe à quatre branches, surmontée d’un abat-jour, était suspendue au plafond et se baissait à volonté au moyen d’une poulie dérobée. La vive lumière que projetait