demandait plus l’histoire que j’avais tant de fois interrompue ; l’actrice se sentait tout bonnement redevenir femme, — le rôle le plus agréable à jouer, en somme,
— lorsque, en me penchant vers elle pour lui baiser le bout de sa main divine, j’entendis un sourd déchirement, qui me fît pâlir et presque pleurer : ma dernière chemise de toile de Hollande, collée jusque-là à ma peau, venait de craquer de haut en bas et de long en large !
— Palsambleu ! madame, dis-je en me relevant précipitamment et en allant reprendre mes gants et mon chapeau, les heures passent vite en votre aimable compagnie… Il est trois heures du matin et je ne suis pas encore rentré ! Que va dire et penser le concierge de l’hôtel Pimodan, mon vénérable concierge ?… Adieu, belle dame, adieu !…
Après avoir failli en pleurer, je ne tardai pas à rire de cette aventure, que je racontai à plusieurs amis, qui la racontèrent à d’autres, — qui la racontèrent encore à d’autres.
Huit jours après, je passais sur le boulevard Montmartre, vers trois heures. Un petit coupé, que je connaissais bien, s’arrêta à quelques pas de moi, et j’aperçus dedans un visage rose et rieur que je connaissais encore mieux.
Je me précipitai à la portière.
— Bonjour, ami Privat, dit Esther en me donnant une cordiale poignée de main.
— J’ai une autre histoire à vous conter, lui dis-je, et si vous vouliez me laisser monter à côté de vous, je vous la raconterais volontiers en chemin…
Esther me regarda des pieds à la tête ; puis elle me répondit, avec le plus adorable et le plus moqueur des sourires :
— Non, mon ami, vous avez aujourd’hui une chemise neuve : vous seriez trop dangereux !…