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VICTOR HUGUES



Né à Marseille, le 21 juillet 1762, de l’obscure boutique d’un boulanger, rêvant l’air et l’espace, bien jeune encore, il s’était élancé sur l’océan. Embarqué d’abord comme marin, il parcourut la Mer des Antilles, puis comme commerçant, il visita les différents ports du golfe du Mexique, et finit par se fixer à Saint-Domingue. La Révolution le surprit établi à Port-au-Prince et à la tête d’une assez brillante fortune. Il était membre de l’assemblée provinciale, provisoirement administrative de l’ouest, lorsqu’éclata l’incendie qui réduisit en cendres la seconde ville de la Reine des Antilles.

Dans ce désastre, il n’eut pas seulement à souffrir de la perte de sa fortune : il lui fallut encore pleurer son frère, le compagnon de ses travaux, lâchement assassiné par les nègres et les mulâtres.

Ces épreuves ne parvinrent pas à affaiblir sa foi aux idées nouvelles. Il se rendit à Paris. A son arrivée, en octobre 1792, il alla frapper à la porte de Monge. Cette porte restant close pour l’ancien marin, il écrivit au ministre. Sa lettre avait pour objet de dénoncer la trame du gouvernement espagnol, consistant à procurer aux émigrés et aux prêtres le moyen de passer à Saint-Domingue, afin de soustraire cette partie de l’empire à la domination de la France. Il la terminait ainsi : "Si vingt ans de colonie, une connaissance locale de toutes les colonies étrangères et du continent de l’Amérique, ayant navigué pendant douze ans dans cette partie, et du côté des possessions espagnoles ; si ces connaissances, citoyen ministre, peuvent être de quelque utilité à la République, disposez de ma fortune et de ma vie, elles sont à ma patrie".

Hugues avait perdu à peu près tout ce qu’il possédait dans l’incendie du Port-au-Prince ; il l’avouait dans sa lettre au ministre ; il ne mettait pas moins, toutefois, sa fortune à la disposition de la République. C’est qu’avec la vie lorsqu’on offre aussi sa fortune, cela pose