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Page:Lara - Contribution de la Guadeloupe à la pensée française, 1936.djvu/95

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Sitôt que Victor Hugo apprit de M. Saint-Priest, pair de France, la condamnation à mort de Barbès, il quitta précipitamment l’Opéra, où l’on jouait un acte de la Esmeralda, après avoir tracé sur une feuille de papier les quatre vers suivants. Il mit le billet sous enveloppe et lui-même alla aux Tuileries. N’ayant pu voir Louis-Philippe, il lui fit remettre le quatrain :

Par votre ange envolée ainsi qu’une colombe !
Par ce royal enfant, doux et frêle roseau !
Grâce encore une fois ! grâce au nom de la tombe ;
Grâce au nom du berceau !

(12 juillet 1839. — Minuit.)
(Les Rayons et les Ombres III.)


La fille du roi, Marie-Christine, venait de mourir, et le comte de Paris était au berceau. Louis-Philippe commua la peine de Barbès en celle des travaux forcés à perpétuité (Moniteur, 15 juillet 1839)[1].

Jeté dans la prison de Nîmes, puis conduit au Mont-Saint-Michel, d’où il tenta vainement de s’évader, la Révolution de février 1848 délivra Barbès. Le département de l’Aude le nomma à l’Assemblée Constituante.

Il fut impliqué dans l’insurrection du 15 mai 1848 qui échoua.

Arrêté, il fut envoyé devant la Haute Cour de Justice siégeant à Bourges et condamné à la détention perpétuelle. Emprisonné à Belle-Isle, Barbès écrivit à un ami, le 18 septembre 1854, une lettre pleine de patriotisme, parlant de la guerre de Crimée et souhaitant ardemment l’écrasement des Russes, la victoire des armes françaises. Une partie de cette lettre mise sous les yeux de l’empereur, entraîna sa grâce. « Un prisonnier qui conserve, malgré de longues souffrances, de si patriotiques sentiments, ne peut pas, sous mon règne, rester en prison », écrivit Napoléon III au ministre de l’Intérieur, le 3 octobre 1854. Armand Barbès refusa cette grâce : on dut le faire sortir de force de sa prison, et, rendu à Paris, le 11 octobre, il protesta contre sa mise en liberté. « Je vais passer à Paris deux jours, écrivit-il, pour qu’on

  1. En juillet 1862. en exil à la Haye, Barbès écrivit à Victor Hugo, alors en exil, aussi, à Hauteville-House, une belle lettre commençant ainsi : « Le condamné dont vous parlez dans le septième volume des Misérables, doit vous paraître un ingrat. Il y a vingt-trois ans qu’il est votre obligé… et il ne vous a rien dit. Pardonnez-lui ! Pardonnez-moi ! » Victor Hugo répondit à son « frère d’exil », disant à Barbès, « le combattant et le martyr du progrès », qu’il « ne doit rien à qui que ce soit ». Le poète ajoutait : « Qui a tout donné au genre humain est quitte envers l’individu ». (Lettres publiées dans la République de la Guadeloupe du 30 juin 1898.)