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CHAPITRE VI

une carrière où il pût honorablement poursuivre plus tard la tradition ancestrale. Avocat lui-même, sans doute destinait-il le futur poète au barreau. Mais le jeune, homme rêvait de Paris. Sa folle humeur l’y attirait ; la poésie l’y retint et c’en fut tôt fini des projets paternels.

A Paris le poète libre de ses mouvements, maître de sa vie, se livra sans nul examen à tous les courants qui passaient, se jeta dans le Fouriérisme et dans le Saint-Simonisme, puis s’évada de l’un et de l’autre avant d’en avoir rien compris. Singulier mélange d’indolence et de vivacité, de réflexion et d’insouciance, il prêchait volontiers, et non d’ailleurs sans éloquence, aux camarades plus jeunes et mieux organisés, la nécessité d’une méthode rigoureuse de travail, qu’il se reconnaissait en même temps incapable de mettre en pratique. Tiraillée en tous sens par ses penchants contradictoires, son existence oscillait sans cesse entre une faiblesse et un remords.

Un jour, cédant aux injonctions pressantes de sa famille et à son humeur incertaine, il s’était marié : vous pensez si la discipline conjugale eut vite exaspéré sa constance. Peu après, il quitta sa femme, retourna vers sa chère Bohème, puis revint au bout de quelques mois pénétré de repentir, implorant un pardon qu’on ne lui marchanda point, pour repartir encore et revenir, plus désolé, plus contrit chaque fois, et dans un désespoir sincère du sentiment de ses turpitudes.