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Page:Larivière - L'associée silencieuse, 1925.djvu/27

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L’ASSOCIÉE SILENCIEUSE

se, fatiguée, toute de torpeur y vivent ses habitants ! Si, par un bel après-midi d’été, vous passez rue Girouard, devant le Parc Dessaulles, vous voyez toute une théorie de braves rentiers assis sur les bancs, jasant entre eux, pour tuer le temps et tromper leur ennui… Sur la rue, les mascoutains traînent lentement leurs pas lourds et las, ils s’accostent, jasent de longues heures aux coins des rues sur des sujets insignifiants, colportent toutes sortes de commérages, se racontent les mêmes incidents vingt fois et puis reprennent leur route de leur même pas lent et fatigué.

Et comment, me demanderez-vous, ces gens ne meurent-ils pas d’inanition ? Comment ? C’est que Dieu, dans son infinie bonté a eu pitié d’eux et leur a envoyé, au milieu de leur torpeur une distraction, que dis-je, une passion qui les retienne à la vie : À Saint-Hyacinthe, on fait de la politique.

Oh ! la politique ! Parlez-moi de ces bonnes chicanes de partis pour retenir un peuple moribond en ce bas monde ! Ce simple mot a le don d’électriser tout le peuple mascoutain, de le faire sortir de sa léthargie, en fait un peuple de combatifs. Depuis le petit enfant d’école au vieillard courbé sous les ans, ce mot magique prend tout le peuple mascoutain.

À Saint-Hyacinthe, on fait de la politique et on en fait souvent. Il y a d’abord les grandes élections fédérales et provinciales, deux occasions extraordinaires qui opèrent chacune pendant au moins six mois. Et puis, il a les élections à la mairie, à l’échevinage qui sont un sport loin d’être banal. Entre temps il y a aussi les élections de commissaires d’écoles, des officiers de cercles sociaux. S’il était possible on exigerait, avant la nomination du curé et des vicaires de la paroisse, des déclarations d’allégeance des préposés à ces charges.

De la politique, on en met partout dans le bon vieux Maska, c’est comme la moutarde de la comédie…

On y est bleu ou rouge ; mais ce qu’on est on l’est pour de bon et pour un bleu, devenir rouge ou pour un rouge, devenir bleu, cela prend les proportions d’une apostasie.

À l’approche des élections, l’activité commence à se faire sentir. La population devient remuante et irascible, les chefs font appel à leurs partisans, de chaque côté, on compte ses forces, on se guette, on s’épie, on se défie… Les assemblées sont nombreuses et souvent turbulentes, les indécis sont cajolés par les partis adverses, on s’efforce de les compromettre et enfin, lorsque le résultat est connu, ce sont des processions à travers la ville, des bacchanales. Les vainqueurs délirent cependant que, penauds, les vaincus rongent leurs freins et jurent de prendre leur revanche à la première occasion…

Ce délire continue durant quelques jours, puis cette belle effervescence se calme peu à peu, la léthargie regagne les bons mascoutains et la vie reprend, calme, monotone… passive…

« Mais non ! s’écria Étienne en déchirant ses feuillets, ce n’est pas cela du tout, c’est bête, c’est injuste, c’est méchant ce que j’allais faire… Louis a raison, je ne suis qu’une âme desséchée, je ne sais voir que le côté pessimiste des êtres et des choses… Avec ma sotte manie de tout critiquer j’allais commettre une infamie… »

Il vint s’asseoir près de sa table de travail, prit une nouvelle feuille de papier et de son écriture lâche et irrégulière, il traça :

« SAINT HYACINTHE. REMPART DE LA TRADITION FRANÇAISE ».


CHAPITRE VIII

ET UNE FEMME PASSA.


Pendant deux longues heures, Étienne, courbé sur sa table de travail, laissa glisser sa plume sur le papier, couvrant de nombreuses pages de son écriture irrégulière, raturant, recopiant, déchirant des pages entières, jamais satisfait de son travail.

« Non, ce n’est pas encore cela ! s’écria-t-il avec rage, et prenant toutes ces feuilles maculées, il les froissa et les lança dans son panier. Il vint un moment à la fenêtre, admira la verdure souriante du parterre, le rideau de feuillage que formaient les grands ormes, le bleu du ciel perçant entre les feuilles et les branches, le miroitement des eaux coulant au bas de la minuscule falaise qu’offrait la rive en cet endroit.

La vue de cet horizon paisible et reposant calma ses nerfs. Il revint à sa table et cette fois, tout d’une traite, sans une seule rature, il noircit une série de pages.

Il était cinq heures quand le journaliste mit le point final à son article.

Soigneusement, il pagina son travail.

Nos lecteurs nous permettront de commettre une indiscrétion et de leur livrer le secret de ces pages, afin de leur faire mieux comprendre la profonde modification qu’avait opérée dans l’âme de notre jeune héros l’éclosion d’un sentiment encore inconnu pour lui.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« SAINT HYACINTHE. REMPART DE LA TRADITION FRANÇAISE ».

Si les craintes pessimistes de certains esprits inquiets devaient se réaliser et que notre population française et catholique puisse jamais se laisser absorber dans le grand tout anglo-saxon qui l’encercle, il est un petit coin de terre, tellement saturé d’esprit traditionaliste qu’il saurait résister à toute emprise et toujours demeurerait français et catholique : la bonne ville de Saint-Hyacinthe.

Saint-Hyacinthe est comme les peuples heureux, il n’a pas d’histoire, il vit sa paisible existence dans l’ombre et l’obscurité. Comme toute source de bien, de vie et d’œuvres durables, il est modeste.

Sise sur les bords délicieux de l’Yamaska, la ville cache ses charmes sous un dais de verdure et, pour avoir une complète compréhension de ses beautés, il faut la visiter avec minutie, l’étudier dans ses moindres détails.

Il faut admirer la beauté de la haute ville avec ses larges rues ombreuses, ses coquettes habitations et ses parterres fleuris, les mas-