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L’ASSOCIÉE SILENCIEUSE

aux cultivateurs de la région, dont ils feront ensuite un cuir qui sera employé, par des ouvriers mascoutains, à faire de la chaussure mascoutaine et avant que le produit terminé ne parvienne au consommateur, il aura profité à l’éleveur, au tanneur, au bottier et aux divers ouvriers de ces usines. Il en est de même pour les filatures de laine, les minoteries, les usines de métallurgie et toute une série de petites industries de moindre importance.

Et encore une fois, quelle magnifique concorde entre patrons et ouvriers ! Ici, l’on ne connaît pas les grèves. L’ouvrier a peur des novateurs qui parcourent le pays, soufflant la haine dans les cœurs des humbles, remplissant les âmes de rancœur, chassant toute quiétude de leur vie. On a horreur de toute nouveauté…

L’industriel connaît nommément chacun de ses employés, il les tutoie la plupart du temps, il connaît ses misères, ses troubles, ses faiblesses et aussi sa valeur, il sait s’en faire en quelque sorte moins un serviteur qu’un collaborateur.

De son côté, l’ouvrier est jaloux de ses prérogative d’homme libre. En dehors de l’usine, il a conscience d’être l’égal du patron comme de tout autre être, il redevient le citoyen fier de son titre. Tout en étant reconnaissant à celui qui l’emploie de lui procurer l’occasion de gagner son pain et celui de sa famille, il a conscience que son travail lui vaut de le recevoir le front haut.

Scrupuleux de respect et d’obéissance envers celui qui représente l’autorité à l’usine, dès la porte franchie, il redevient homme libre ayant ses franches coudées et, tout en étant exquis de politesse et d’urbanité, il ne souffrirait pas que l’on osât porter atteinte à sa dignité et à sa liberté, il ne s’agenouille qu’à l’église, devant son Dieu, il ne courbe le front que sous l’absolution du ministre de ce Dieu…

De ce sentiment de dignité chez l’ouvrier, de confiance chez le patron est né le respect mutuel. Et puis, après avoir peiné six jours durant à l’usine, patrons et ouvriers se coudoient. à l’église, le dimanche, égaux en leur humilité devant la Majesté du Dieu Créateur, Maître de leurs communes destinées…

Une seule question gâte cette douce quiétude et vient de temps en temps, jeter la perturbation au sein de cette population d’ordinaire si paisible : c’est la question politique.

Vrais fils de la France, les mascoutains ont les sangs chauds, ils sont entiers en leurs jugements, ennemis des demi-mesures, des demi-adhésions. En politique, on est rouge ou bleu au bon Alaska ; mais ce que l’on est, on l’est tout à fait. La question politique divise le frère contre le frère, elle fait de l’ami d’hier, l’ennemi de demain. Cependant l’industrieuse population, qui a conscience de son faible, sait prendre ses précautions. Dès le commencement d’une lutte politique, on voit la ville se diviser en deux clans. On s’évite entre adversaires, ou s’il y a nécessité de se rencontrer, on se garde bien de toute allusion à la question brûlante…

Et la division se prolonge ainsi jusqu’au soir du scrutin… Dès le lendemain, on s’aperçoit que le fossé commence à se combler et, une semaine plus tard, la paix et la concorde refleurissent de nouveau.

Mais une étude sur Saint-Hyacinthe serait incomplète sans un mot sur les mascoutaines.

La femme est l’artisane d’une nation, a dit je ne sais qui. Nulle part plus qu’à Saint-Hyacinthe, elle ne mérite ce titre de gloire.

La jeune fille, à quelque classe qu’elle appartienne, reçoit d’abord une solide éducation familiale, toute imprégnée de la douce bonté du Christ. Plus tard, elle fréquentera l’école des bonnes Sœurs et son intelligence se meublera des diverses connaissances nécessaires à la vie qui l’attend, vie humble chez la plupart d’entre elles, plus brillantes chez le petit nombre ; mais, quelle que soit la position sociale de la mascoutaine, elle ne rougira jamais de saluer sur la rue l’humble femme du peuple qui fut sa compagne de classe à l’école paroissiale.

À la sortie de l’école primaire, suivant la position de fortune de ses parents, la jeune fille continuera ses études aux écoles secondaires ou commencera l’apprentissage de la vie.

Elle sera ouvrière dans l’une des nombreuses usines de la ville ; chaque semaine, elle apportera son salaire à ses parents et cette vie humble et toute de renoncement se continuera jusqu’au jour où un jeune ouvrier aura fait battre son cœur.

Alors, elle quittera l’usine, se mariera et commencera l’édification d’un nid coquet qu’elle s’efforcera de rendre bien chaud bien affectueux, bien douillet, dans l’espoir de beaux bébés roses qu’à son tour, elle élèvera en bons chrétiens, dont elle formera des hommes braves et forts qui continueront, sur les bords verdoyants de l’Yamaska, la tradition canadienne, l’expansion de la pensée française et catholique.

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Je ne sais si mes lecteurs aimeront ma chronique, se dit Étienne en plaçant ses feuillets dans une enveloppe, ce dont je suis certain, c’est que je me sens la conscience bien plus à l’aise.

Discrète, Ghislaine frappait à sa porte.

— Entre bien vite, petite sœur.

— Comment ? Encore au travail ? Tu me disais n’en avoir que pour quelques instants… C’est bien ce que tu viens d’écrire là ?

— Je ne sais si c’est bien du moins, je suis positif que c’est vrai…

— Laisse-moi lire ?

— Petite curieuse…

— Et sur quel sujet ton article ?

— Sur la mascoutaine.

— Oh ! alors, tu dois dire des monstruosités et plus encore, j’ai le désir de le voir…

— Plus tard, quand ce sera publié. Vois, je n’ai pas relu, moi…

— Tu l’as relu puisque tu ne venais que pour cela.

— Non, j’ai déchiré l’article préparé, c’était inepte…

— Vrai ! Mais alors c’est que dans ton pre-