ÉTIENNE NORMAND
— Je ne te dérange pas ? s’enquit le Docteur Durand, comme il pénétrait dans le boudoir-bureau qui servait de cabinet de travail à son ami, Étienne Normand,
— Tu sais bien que tu es toujours le bienvenu. Prends-tu un cigare ?
— Non ! une cigarette seulement. Mes malades ne me laissent pas beaucoup de liberté.
— Ils peuvent bien attendre… Quand on est spécialiste en maladies nerveuses, il me semble que l’on ne risque pas grand’chose à faire attendre un peu ses patients, leur cas n’est pas si pressé, après tout.
— Tu n’as pas l’air de les prendre bien au sérieux.
— Un tas de détraqués… Comme tu dois en avoir plein le dos de vivre journellement en contact avec ces demi-fous !
— Je ne dis pas ; mais..
— Et puis, tu n’es pas pire que les autres, pauvre vieux, chaque métier a ses misères. Je viens d’être contraint de lire près de deux cents pages de prose piquée des vers, portée hybride dont a accouché, après une laborieuse gestation, un malheureux poétereau de vingt ans et, à cette lecture, j’ai constaté, une fois de plus, que les détraqués les plus incurables ne sont pas toujours ceux que l’on vous amène.
— Encore une future victime à ta rage…