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L’IRIS BLEU

sont pas trop laborieuses, dans trois mois, nous serons prêts à les recevoir.

Quant au bois nécessaire à nos constructions, nous aurons sur les lieux tout ce qu’il nous faut ; il souffle par ici un tel vent de destruction, une telle rage de convertir les belles forêts vertes en argent que le village regorge de billots. Encore un malheur que cause à nos campagnes la cupidité de leurs habitants !

Je commence demain les réparations de ton castel. Je doublerai les planchers en bon érable et sitôt les jours d’été arrivés je ferai venir un peintre qui fera à ta vieille demeure une jolie toilette.

J’oubliais de te dire que j’ai été aux renseignements au sujet de la jeune fille en noir qui t’avait si vivement intéressé sur notre chemin vers la gare. C’est une cousine éloignée du Docteur Durand, une orpheline qu’il a recueillie dernièrement après la mort de sa mère.

C’est une jeune fille de très bonne famille, diplômée après un cours brillant chez les Dames Ursulines de Québec. De plus elle est excellente musicienne, a beaucoup de talent pour la peinture et est actuellement occupée à peindre les oiseaux empaillés du curé. Ce brave curé vient d’imaginer de faire un livre sur les oiseaux de notre province et a retenu expressément ses services pour illustrer ce volume de pages en couleurs.

Si j’ajoute à ces informations que j’ai été présenté avant-hier soir à la dite jeune fille (style de notaire) par le Docteur Durand chez qui j’ai passé une agréable soirée, qu’elle est plus jolie encore que je ne l’avais pensé, qu’elle est très instruite et on ne peut plus gentille et qu’enfin, si je n’attendais pas autre chose que la fortune que tu m’as promise pour me marier avec Jeanne, je lui ferais un brin de cour, tu en sauras aussi long que moi, mon vieux Yves, et tu pourras en rêver cette nuit, si ta jolie poupée de Berthe continue à t’être cruelle. Tu vois, je suis déjà un rentier presque parfait, je commère comme une vieille femme.

Affectueusement à toi,
Paul.
Yves Marin à Paul Lauzon.

Bien cher Paul : —

Je viens de recevoir ta lettre au moment où je me disposais à aller signer la commande de notre machinerie. J’ai choisi ce qu’il y avait de plus moderne et tu en trouveras sous ce pli les devis et plans, ce qui te permettra de pouvoir commencer incessamment les constructions et en arrêter la disposition par avance.

J’ai également pris des dispositions avec deux raffineries de sucre pour que l’on t’envoie leurs cotes. De plus tu recevras demain les notes que j’ai recueillies au cours des visites faites aux fabriques de conserves et confiseries de cette ville et j’en suis arrivé comme tu le pourras constater, à la conclusion que pour la confiserie, nous ne saurions trouver de meilleurs procédés que ceux employés par les braves femmes de nos campagnes ; nul produit sur le marché n’est supérieur à leurs confitures. Quant à la sauce aux tomates (Katsup), ne va pas non plus chercher de recettes au loin, demande à la première commère du village de te donner la sienne et nos citadins s’en lécheront les lèvres de contentement.

Quant à mes études sur l’industrie toilière je t’avoue que je patauge dans les ténèbres. Je fouille les bibliothèques et à chaque nouveau traité que je lis, je m’aperçois que j’y vois de moins en moins clair ; de sorte que d’ici quelques semaines je vais suivre ton conseil et piquer une pointe outre-mer afin d’y étudier sur place les industries de la toile et de la laine. Mon regret dans cette affaire est que je te laisse seul ici en charge des travaux d’inauguration qui sont toujours très ardus et ingrats ; mais j’espère que tu ne m’en voudras pas trop et en plus je te promets de travailler ferme au succès de notre grande entreprise.

Il y aurait bien les toileries américaines ; mais on y travaille tellement sur une haute échelle que je ne crois pas que ce genre nous convienne, surtout si nous voulons faire un travail de propagande, de petites industries établies sur des bases peu coûteuses et pouvant se répéter à l’infini sur des points différents de la Province.

Tu m’excuseras auprès des Lambert. Malgré mon grand désir, je ne pourrai être des leurs. Je leur ferai parvenir cette semaine un cadeau qui je l’espère me fera pardonner mon absence.

Quant à ta jeune perfection d’orpheline, malgré tout le bien que tu m’en dis, je ne me suis pas hasardé à en rêver, ma jolie poupée de Berthe, comme tu la nommes, me causant trop de tribulations pour que je fasse la folie d’aller m’embarquer sur une autre galère.

Mon pauvre Paul, comme tu es un heureux mortel d’avoir une bonne et affectueuse petite amie comme Jeanne, un cœur dévoué, une âme sans artifice !!! Berthe me fait enrager avec ses égoïsmes journaliers, sa frivolité,