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L’IRIS BLEU

de ce pécule se fait sentir, le conseil vient de voter les subsides nécessaires pour faire macadamiser les chemins de la paroisse et du village. D’ailleurs, je commence à réaliser que je les avais jugés mal nos rentiers de village, s’ils sont ainsi ennemis du progrès, c’est la conséquence logique de leur éducation et de la modicité de leurs revenus et peut-être en agirions-nous de même si nous avions à boucler leurs maigres budgets.

— Eh bien ! nous tâcherons de le grossir encore ce budget, dit Yves en se levant de table, et maintenant si tu le veux, associé modèle, nous allons visiter cette usine merveilleuse ?

Yves alluma une cigarette et en offrit une à son ami et au vieillard ; mais ce dernier refusa : « Merci bien, Monsieur Yves, moi ça ne me dit rien, je préfère ma vieille pipe. » Et les trois hommes se rendirent à la fabrique.

C’était un bâtiment très considérable comme nous avons vu d’après les dimensions données par l’architecte. Tout y était éclatant de propreté les bureaux surtout, que Paul avait tenu à meubler avec confort sinon avec luxe.

Après cette première visite qui enthousiasma notre voyageur, ils revinrent vers la vieille demeure. Paul et Jeanne prirent bientôt congé après avoir fait promettre au jeune notaire de venir souper avec eux.

Yves passa cet après-midi à défaire ses malles et à s’installer sommairement cependant que le père et la mère Lambert lui faisaient l’historique du village depuis la date de son départ.

— Mais vous ne savez pas, depuis que vous êtes parti, il y a eu encore du nouveau à part la fabrique, il y a une bien jolie fille dans le village et si vous n’en tombez pas amoureux vous qui n’avez pas de fiancée en ville, ça serait bien dommage car c’est jolie comme une sainte vierge, c’est doux comme un agneau et c’est bon comme du pain blanc.

— Dis donc Zélie, Monsieur Yves doit la connaître, elle était dans le village à la mort de défunt son oncle.

— Mais non, Jacques, elle est arrivée après.

— Je te dis que oui, Zélie, elle est arrivée le soir même de la mort de ce pauvre défunt homme.

— C’est bien vrai, Jacques, tu as raison ; mais n’empêche qu’il n’a pas dû la voir, elle ne sortait jamais dans les premiers temps elle avait trop de chagrin. Pour sûr, Monsieur Yves, que ce serait un péché de laisser sécher sur pieds un ange du bon Dieu comme Mlle Andrée !

— Comment ! c’est d’elle que vous voulez parler ?

— Vous la connaissez ?

— Non, mais Paul ne pouvait m’écrire sans en parler. Eh bien ! non, mes bons amis, je ne lui ferai pas la cour à cette Demoiselle Andrée. D’abord, je ne veux pas me marier de sitôt, je vous l’assure, et je ne tiens nullement à la connaître.

— Bien vrai ! Monsieur Yves, cela me fait de la peine, dit la mère, vous auriez fait un couple si mignon.

Vers cinq heures, Yves pénétrait dans le joli cottage que Paul s’était fait construire en face de l’usine à environ un arpent du chemin, sur une éminence dominant la rivière Salvail. C’est là que notre ami était venu cacher son bonheur, au milieu d’un bosquet de grands pins. Paul lisait sur la véranda tandis que Jeanne vaquait à l’intérieur à la préparation du souper.

La maison entière offrait un air de gaieté de confort et de bonheur. Les meubles simples mais d’une propreté impeccable, les tentures sobres, d’un goût délicat, quelques bibelots agréablement disposés, tout contribuait à rendre cette demeure reposante et délicieuse.

— Quand penses-tu pouvoir commencer notre toilerie, s’enquit Yves.

— Pourquoi pas dès cet automne ? J’ai demandé à nos cultivateurs de semer du lin en abondance et comme ils ont maintenant en moi une confiance presqu’illimitée, tous ou à peu près ont répondu à mon appel, de sorte que dès cet automne nous aurons suffisamment de matière première pour commencer notre exploitation. Si de ton côté tu crois que cette tentative ne soit pas prématurée, je ne vois pas pourquoi remettre à plus tard.

— Au contraire, je suis anxieux de commencer. Une simple annexe à notre usine suffira pour le moment. Nos chaufferies actuelles serviront à merveille, et d’ailleurs je vais essayer un procédé très simple que nous perfectionnerons ensuite et d’ici quelques années, nous obtiendrons des toiles capables de rivaliser avec celles de toute maison européenne ou américaine. Je vais me mettre à l’œuvre dès demain.

Madame Lauzon venait annoncer le souper et Paul s’écria joyeux : « À la soupe ! comme nous disions là-bas, après une bonne charge ! Tiens, mon vieil Yvon, je m’aperçois que Jeanne a tenu à être la première à te faire goûter nos produits ; notre soupe est faite aux tomates de la maison « Pierre Marin, Limitée ». Il y a sur la table les fameux cornichons sucrés de notre maison, les confitures