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L’IRIS BLEU

Mes amours avec Berthe LeSieur vont toujours bon train, nous devons nous fiancer au printemps. Jeanne Lalande a bien hâte de te voir revenir, et espère nous imiter aussitôt que tu seras parmi nous.

Jusqu’à nouvel ordre, je serai à St-Irénée. Si mon oncle se rétablit, je reviendrai immédiatement à Montréal, sinon, je ne le quitterai pas tant qu’il y aura du danger. Je me souviens que lors du départ du 22e, le cher vieillard n’a pas craint de faire le voyage à Amherst pour venir me donner la suprême poignée de main, et je tiens à être auprès de lui aussi longtemps qu’il ne sera pas sensiblement mieux.

Ton ami
Yves.


CHAPITRE III


À demi couché sur son fauteuil à bascule, Pierre Marin, le grand amant de la terre, le solitaire de St-Irénée, la providence des pauvres et des malheureux, attend la mort avec cette douce sérénité que donne à ses fidèles la foi chrétienne.

Ce matin, Monsieur le Curé Ferrier est venu lui porter le Bon Dieu et lui administrer les derniers Sacrements. Depuis longtemps déjà, ses affaires temporelles sont réglées, et comme, sur sa demande expresse, le médecin venu de St-Hyacinthe lui a avoué qu’il n’y avait plus d’espoir de guérison, il vient de faire généreusement le sacrifice de sa vie et les yeux fixés sur le Christ d’argent qu’il détient comme une relique de son arrière grand’père, il se prépare à paraître devant le Juge Suprême.

Les époux Lambert, les seuls serviteurs qui aient jamais partagé ses labeurs, essaient en vain de cacher leur chagrin, et, incapables de maîtriser leurs pleurs, ils consentent à se laisser remplacer auprès du malade par des voisins charitables.

« Quelle heure est-il ? » demanda-t-il péniblement.

« Sept heures et demi. Nous avons envoyé à la gare, le train est en temps et dans un quart d’heure Pierre Nolin qui attend avec son automobile vous amènera notre neveu, ne vous fatiguez pas.

— Avez-vous demandé au Curé de repasser après souper ?

— Pierre Larose le lui a dit, reposez-vous, Monsieur Marin.

— Voulez-vous me porter dans mon lit, je me sens plus faible ?

Le malade était à peine installé dans son lit qu’un son de corne d’auto se fit entendre :

— C’est mon neveu ! » dit le vieillard tout transformé », vite ! faites-le entrer !

— « Mon oncle ! » étouffa Yves en entrant dans la chambre bientôt suivi de Monsieur Ferrier et du Docteur Durand.

— « Mon cher enfant ! » s’écria le vieillard en attirant sur son cœur ce neveu attendu avec tant d’impatience. Que je suis heureux de te revoir avant de mourir, que je rends grâce à Dieu d’avoir prolongé ma vie assez longtemps pour recevoir ton dernier adieu et que je te remercie d’être ainsi accouru à mon dernier appel. Vois-tu, mon garçon, on peut durant sa vie être un ermite, un solitaire, quand vient le moment du grand départ, il est bien doux de presser dans ses bras quelqu’un des siens, de s’entendre dire le suprême au revoir par quelqu’un de sa famille. Notre famille se résumait à nous deux, moi le vieux, le représentant de l’ancienne génération, des anciennes traditions, des jours de jadis, et toi, l’espoir de demain, l’avenir. Tu trouveras dans ma chambre, dans un coffret de fer que Lambert te désignera, mes deux testaments, mon testament légal, par lequel je t’institue mon seul héritier et aussi mon testament moral, dans lequel j’ai résumé l’expression des rêves de ma vie. Ces rêves j’étais trop vieux pour les réaliser, mais toi qui as tout l’avenir devant toi, je t’en confie la réalisation. Ce soir quand je serai devant Dieu, tu laisseras un instant ma dépouille à la garde de mes bons voisins, tu t’enfermeras dans ma chambre, et là tu liras ce testament moral que je te destine. Peut-être me trouveras-tu trop exigeant quand on est jeune et que l’avenir s’ouvre souriant devant soi, que les plaisirs, les distractions, la jeunesse enfin offre son mirage trompeur, le devoir et le sacrifice font peur quelquefois, et pourtant, promets-moi de ne rien décider avant d’avoir mûrement réfléchi et de faire tout en ton pouvoir pour réaliser mes espérances, quelques sacrifices que cela doive te coûter.

— Mon oncle, vous allez bientôt vous rétablir…

— Non, je ne me fais pas d’illusions, d’ailleurs, la science elle-même s’est déclarée impuissante. Mais avant de mourir, je veux que tu me promettes, devant nos amis, de toujours faire tout en ton pouvoir pour conserver intact le patrimoine que je te laisse et qui a entièrement été défriché par nos pères. Dis, peux-tu me promettre cela ?

— Oui mon oncle, je vous le promets.

— Merci mon cher enfant, je sais que je puis compter sur ta promesse et mourir tranquille.

Puis, apercevant le Curé et le Docteur qui