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Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 1, part. 1, A-Am.djvu/31

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XXXI
PRÉFACE.

appelaient des idées neuves et audacieuses ; ainsi elle demeura une œuvre incomplète et peu utile. Celle qui a été entreprise depuis est, sans nul doute, conçue d’après un plan beaucoup meilleur, plus riche en science, et plus conforme à son véritable but… L’Encyclopédie, qui fut orgueilleusement conçue pour donner aux siècles à venir une haute idée des progrès immenses que l’on croyait apercevoir dans les connaissances humaines, les envisagea sous un point de vue nouveau et dans un esprit qui fît changer de caractère à presque toutes les sciences. En effet, on avait cru découvrir un nouveau cours à leur source commune, on avait tracé la marche des opérations de l’âme humaine sur une route nouvellement adoptée. »

« Quoi qu’il en soit, dit M. David dans sa notice sur l’Encyclopédie, cette colossale entreprise, qui n’a jamais été égalée, bien qu’elle ait vieilli en beaucoup d’endroits, restera comme un événement unique dans l’histoire littéraire de notre pays. Elle aura été plus que le réveil d’une nation endormie et opprimée : en elle se trouvent, à l’état latent, toutes les conquêtes de la civilisation moderne, elle a enfanté cette vaillante armée de penseurs qui surgissent, à l’heure voulue, pour revendiquer les libertés dont les peuples ne sauraient pas plus se passer que du pain de chaque jour. »

Nous nous associons à toutes les réserves, à toutes les critiques que les auteurs que nous venons de citer adressent à l’Encyclopédie, et cela nous coûte d’autant moins que c’était aussi l’opinion des auteurs eux-mêmes. Voici ce qu’ils n’ont pas hésité à écrire de l’œuvre sortie de leurs mains : « Ici nous sommes boursouflés et d’un volume exorbitant ; là, maigres, petits, mesquins, secs et décharnés. Dans un endroit, nous ressemblons à des squelettes ; dans un autre, nous avons un air hydropique. Nous sommes alternativement nains et géants, colosses et pygmées ; droits, bien faits et proportionnés ; bossus, boiteux et contrefaits. Ajoutez à ces bizarreries celle d’un discours tantôt abstrait, obscur ou recherché, plus souvent négligé, traînant et lâche ; et vous comparerez l’ouvrage entier au monstre de l’Art poétique et à quelque chose de plus hideux. » (Article Encyclopédie.)

Le plus grand ennemi de l’Encyclopédie et de Diderot fut La Harpe. Sa diatribe n’a pas moins de 46 pages in-8o ; en voici un échantillon : « Les convenances et les bienséances de toute espèce n’y sont pas mieux gardées que les mesures naturelles des objets. L’article Fanatisme n’est qu’un cri fanatique contre la religion et ses ministres ; l’article Unitaires n’est qu’un tissu de sophismes contre toute religion ; cent autres ne sont qu’un extrait et un résumé de toutes les idées irréligieuses semées dans une foule de livres… Le scepticisme, le matérialisme, l’athéisme, s’y montrent partout sans pudeur et sans retenue, et c’était bien l’intention des fondateurs ; mais s’ils voulaient que leur dictionnaire fût impie, ils ne voulaient pas qu’il fût ridicule ; et, pour ne citer en ce genre que ce qui en est peut-être le chef-d’œuvre, lisez seulement l’article Femme (de Desmahis), qui sûrement ne devait être là que de la main d’un moraliste ; vous n’y trouverez qu’une conversation de boudoir, et tout le jargon précieux des comédies de Marivaux et des romans de Crébillon ; et comme si ce n’était pas assez qu’une pareille caricature eût place dans l’Encyclopédie, elle y est insérée avec éloge… Tout doit être faux dans des hommes qui font un métier de mensonge, tel que celui de ces sophistes. Ils croyaient avoir de la dignité, et n’avaient que de la morgue. Tout ce que des hommes ivres d’amour-propre peuvent concevoir de rage quand ils sont offensés parut alors à découvert, et cette hypocrite philosophie, jetant bas ses livrées de vertu et de modération, fut mise à nu, bien plus par la fureur de ses ressentiments que par la main de ses adversaires. Elle vomit à flots tous les poisons de la calomnie la plus effrontée, et le peu d’art qu’elle mit dans ses libelles atteste encore, ainsi que cent autres exemples semblables, qu’elle n’avait pas plus de principes de goût que de principes de morale. » Voilà un jugement, nous pourrions dire un pamphlet, dans les règles. Répondons-y en faisant connaître le juge :

Voici d’abord l’opinion de Grimm, qui le connaissait à fond : « M. de La Harpe a beaucoup plus d’esprit que de connaissances, beaucoup moins d’esprit que de talent, et beaucoup moins de goût que d’imagination… Il est malheureux que les circonstances l’aient obligé à perdre tant de temps à dire du mal des autres, et à se défendre ensuite contre les ennemis qu’il se faisait tous les jours en exerçant un si triste métier. » Il est encore plus malheureux qu’après avoir bassement encensé les hommes de la Terreur, s’être coiffé du bonnet rouge et avoir écrit des strophes dévergondées, dans le genre de la suivante, pour répondre au manifeste du duc de Brunswick :

Le fer ! amis, le fer ! il presse le carnage ;
C’est l’arme des Français, c’est l’arme du courage,
L’arme de la victoire, et l’arbitre du sort.
Le fer !… il boit le sang ; le sang nourrit la rage,
       Et la rage donne la mort ;


il est encore plus malheureux, disons-nous, que, dès qu’il crut n’avoir plus rien à craindre, il ait traîné dans la boue ces mêmes hommes devant lesquels il avait rampé, et auxquels ses platitudes avaient soulevé le cœur de pitié et de dégoût. Ces quelques détails biographiques expliquent assez clairement la raison des colères de l’auteur du Lycée ; voilà l’homme jugé en prose ; montrons-le maintenant marqué par les vers de Gilbert et de Lebrun :