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XXXVIII
PRÉFACE.

Et ici, qu’on ne prête pas à notre critique des intentions qu’elle ne saurait avoir. Tous les noms cités plus haut sont des noms honorables ; plusieurs même sont illustres ; chacun de ces écrivains répond de l’article qu’il signe, mais il ne saurait être responsable de la cacophonie qui règne nécessairement dans l’ensemble. Cette responsabilité retombe tout entière sur la direction.

Nous adresserons encore à la direction une autre critique, une simple critique de forme, mais qui n’en a pas moins son importance. La collection (deuxième édition) comprend seize volumes ; le dernier tome embrasse à lui seul les lettres S, T, U, V, W, X, Y, Z, qui, dans l’économie de tous les dictionnaires, forment le sixième du cycle alphabétique. Le lecteur tirera lui-même la conclusion, en disant avec le poëte :

Desinit in piscem mulier formosa superne.

Le directeur, M. Duckett, a donné, en 1842, dix vol. in-12, sous le titre de Dictionnaire de la conversation à l’usage des dames et des jeunes personnes, un abrégé du grand ouvrage, d’où l’on a supprimé les articles qui ne pouvaient avoir d’intérêt pour ce public spécial, et d’autres qui ne présentaient pas un caractère de moralité sévère.

Encyclopédie Nouvelle, dictionnaire philosophique, scientifique, littéraire et industriel, offrant le tableau des connaissances humaines au XIXe siècle, publiée sous la direction de MM. Pierre Leroux et Jean Reynaud (1834 et années suivantes). Cet ouvrage qui, malheureusement, n’a pas été achevé et qui présente des lacunes considérables, doit être distingué de toutes les autres œuvres encyclopédiques de notre époque. Les articles qu’il contient sont en général des études sérieuses et intéressantes, assez souvent remarquables par l’originalité de la pensée et la beauté de l’expression. Les questions y sont envisagées sous des aspects nouveaux. Il y règne un esprit de jeunesse et de sincérité qui ne craint pas d’agiter les problèmes dangereux et de chercher au delà de l’histoire convenue et de la science officielle. Nous signalerons d’une manière spéciale les articles Animal, Arianisme, Aristocratie, Aristote, Saint Augustin, Babeuf, Bacon, Bayle, Bossuet, Buffon, Calvin, Canonisation, Caste, Célibat, Christianisme, Ciel, Cloots, Concile, Concurrence, Condillac, Confession, Conscience, Consommation, Crédit, Culte, Cuvier, Déluge, Démocrite, Descartes, Domestication, Échange, Éclectisme, Économie politique, Écriture, Égalité, Encyclopédie, Enfer, Eucharistie, Famille, Fatalisme, Femme, Force, Organogénie, Panthéisme, Papauté, Philosophie, Scolastique, Sensation, Smith (Adam), Sommeil, Technologie, Tératologie, Théocratie, Théologie, Végétal, Zoologie. Parmi les collaborateurs on remarque les noms de MM. Bibron, Carnot, Ed. Charton, Decaisne, Doyère, Dussieux, Ch. Emmanuel, H. Fortoul, Franqueville, Geoffroy Saint-Hilaire, Hauréau, Husson, Lamé, L. Lalanne, Le Play, Ch. Martins, V. Meunier, J. Mongin, L. Pereire, Ans. Petetin, de Pontécoulant, Renouvier, Requin, Pauline Roland, Serres, Thoré, Tissot, Transon, L. Viardot, Young, etc.

L’Encyclopédie nouvelle, nous le répétons, ne doit pas être confondue avec les divers dictionnaires et encyclopédies que le XIXe siècle a vus naître. Toutefois ce n’est pas encore là, suivant nous, qu’il faut chercher l’esprit philosophique de notre époque. Ce n’est pas là que le Grand Dictionnaire reconnaît ses ancêtres. L’œuvre de MM. Pierre Leroux et J. Reynaud est saint-simonienne ; elle présente dans une certaine mesure les divers caractères du saint-simonisme : religiosité et mysticisme, tendance à l’organisation et non à l’affranchissement, doctrine de la nécessité et du déterminisme en histoire, négation du libéralisme politique et économique, réaction contre le XVIIIe siècle, réhabilitation du moyen âge. Elle ne s’enferme pas, il est vrai, dans l’orthodoxie ancienne, scientifique, politique, philosophique, religieuse ; mais prenez garde, elle marche à une orthodoxie nouvelle ; elle considère d’un œil optimiste les erreurs, les superstitions et les fanatismes du passé ; elle leur trouve un rôle, une valeur, une mission providentielle ; dans ce que le XVIIIe siècle regardait comme des chaînes honteuses, elle voit les organes du progrès humain destinés non à être supprimés, mais transformés ou remplacés. Qu’aurait dit Voltaire de cette règle de critique applicable, dit l’auteur de l’article Astrologie, à l’histoire de la science comme à l’histoire de la politique et de la religion : Toute opinion qui a été universellement dominante, quand même elle nous paraîtrait absurde et ridicule, représente nécessairement quelque grande vérité qui aura été déguisée ou altérée.

La théorie des hommes providentiels, récemment exposée dans un livre célèbre et vivement critiquée par la presse libérale, a inspiré les auteurs de presque tous les articles historiques. « Tous les hagiographes qui ont écrit sur saint Augustin, dit M. Pierre Leroux, s’étonnent que Dieu ait permis qu’un si grand saint eût été neuf ans manichéen, et ne voient à admirer en cela que la grandeur des jugements de Dieu. Élevons-nous plus haut, et nous comprendrons pourquoi saint Augustin a été manichéen si longtemps. Saint Augustin a été neuf ans manichéen parce qu’il devait développer le côté manichéen du christianisme. »

Entendez ce devait : à l’œuvre de saint Augustin était lié, suivant l’auteur, le développement de la vie monastique, de la hiérarchie de l’Église et de la puissance papale. Cette œuvre manquée, le moyen âge était manqué : voyez combien le senti-