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XLVIII
PRÉFACE.

comprend ce défaut chez un homme que l’excès du travail épuisa prématurément, et que la mort emporta à 37 ans, sans lui laisser le temps de soumettre son œuvre à une révision sévère. Cette tâche échut à ses successeurs, qui transformèrent tellement le Dictionnaire historique, qu’il n’appartient pour ainsi dire plus à son premier auteur ; ce qui a fait dire à Voltaire que c’était « une ville nouvelle bâtie sur l’ancien plan. »

Le Dictionnaire de Moréri a obtenu les honneurs d’un grand nombre d’éditions, dont la meilleure est celle qui fut publiée à Paris en 1759, 10 vol. in-fol. C’est la vingtième et la dernière. Les étrangers ont plusieurs fois imité ce savant ouvrage, qui a été traduit en allemand, en anglais, en espagnol et en italien. Aujourd’hui encore, c’est une mine où les encyclopédistes puisent chaque jour à pleines mains ; la source est véritablement inépuisable, et le placer est si riche qu’on y trouve à chaque pas des pépites précieuses qui n’avaient pas encore été remarquées. On peut, sans exagération, comparer le Dictionnaire de Moréri à ces monuments de l’antiquité dont les ruines ont enrichi tous les musées, et où, cependant, les derniers venus trouvent toujours quelque débris de chef-d’œuvre à emporter.

Dictionnaire historique portatif, par dom Chaudon, bénédictin, en collaboration avec Delandine ; 1766, 4 Vol. in-8° ; 1804, 13 vol. in-8° ; réédité, avec augmentation, par Prudhomme, 1810-12, 21 vol. in-8°. C’est le dictionnaire que Feller, mécontent de la modération dont s’honorait dom Chaudon, n’eut pas honte de s’approprier, pour le défigurer par un grand nombre d’articles qui respirent la haine que ce plagiaire émérite avait conçue pour les principes du xviiie siècle.

Dictionnaire historique, par le P. Feller. Comme nous venons de le dire, ce dictionnaire n’est qu’un plagiat de celui du bénédictin Chaudon. Écrivant dans le pays des libraires contrefacteurs, Feller alla plus loin qu’eux, et vola des ouvrages français qu’il donna sous son nom. C’est ainsi qu’en 1788 il s’appropria le Dictionnaire géographique de Ladvocat, que celui-ci avait publié sous le nom de Vosgien, comme traduit de l’anglais, et dans lequel les articles sur la Hongrie sont presque les seuls qu’il ait refondus. Mais le vol le plus large et le plus audacieux fut celui du Dictionnaire historique de Chaudon. Sous prétexte qu’il le trouvait trop philosophique, il le reprit en sous-œuvre : il ne changea rien à une foule d’articles, soit anciens, soit modernes, où l’esprit de parti n’a rien à démêler ; mais il arrangea à sa manière tous les personnages dignes d’encourir le blâme ou l’éloge, la haine ou l’affection des membres de la compagnie de Jésus. La première édition de ce plagiat effronté et de cette transformation parut en 1781, 6 vol. in-8°. Dans la préface, Feller a soin de décrier tous les dictionnaires antérieurs : celui de Moréri n’est qu’une masse ; celui de Ladvocat porte l’empreinte de la passion et du préjugé ; celui de Barral a été écrit par une société de convulsionnaires ; celui du bénédictin, qu’il s’approprie pour le gâter, est entaché des défauts les plus graves, et n’a été accueilli que faute de mieux. Il trouve partout des marques insignes de mauvaise foi ; les rédacteurs ne sont que des compilateurs, des calomniateurs, etc. ; enfin, le dictionnaire de Chaudon est monstrueux, et il faut lui attribuer « une très-grande part de la révolution qui se fait dans les idées humaines. » Dom Chaudon répondit, en publiant sa cinquième édition (1783) : « On ne se contente pas aujourd’hui de s’emparer d’un ouvrage ; on le remplit de fautes en annonçant des corrections, on le défigure,… et d’une production impartiale et équitable on fait un livre rempli de déclamations et de faux jugements. » Le bénédictin, volé et injurié, se montrait modéré ; le jésuite voleur et injuriant était furieux ; mais il avait alors, comme aujourd’hui encore, ses partisans dans cette classe de gens qui ont pour axiome que la fin justifie les moyens, et en multipliant ses éditions, il attaquait toujours les chaudonistes.

La Biographie universelle se montre très-indulgente envers Feller ; elle justifie presque ses violences en les attribuant à son zèle pour la religion. Dans le domaine de l’histoire, ce zèle même est coupable, et, à ce point de vue, il n’est permis d’en montrer que pour le triomphe de la vérité. La partialité de Feller pour la religion lui fait transformer souvent en génies supérieurs des personnages qui n’avaient eu d’autre mérite que celui de porter une robe de jésuite, tandis qu’il métamorphose en pygmées des hommes d’un incontestable talent, pour peu qu’ils aient été entachés de jansénisme, ou qu’ils aient partagé les idées philosophiques du dix-huitième siècle. Quant aux grands hommes qui ont vécu avant le christianisme, leur nom seul fait frémir d’indignation la plume du jésuite pseudo-biographe. Il est avéré à ses yeux que l’ère païenne n’a pas vu éclore une seule vertu. Il met la continence de Scipion bien au-dessous de celle du dernier soldat chrétien ; il fait de Socrate un hypocrite, un orgueilleux, un ivrogne et un libertin ; Marc-Aurèle était faux, altier, égoïste, corrompu par système, tyran crapuleux, récompensant ceux qui s’accommodaient des amours de sa femme, et se couvrant lâchement d’une honte qu’un sauvage même n’aurait pu supporter… Quant aux païens qui appartiennent au christianisme, tels que Voltaire, Diderot, d’Alembert, Rousseau, etc., il est impossible à notre plume de reproduire toutes les aménités qu’il leur prodigue.

Biographie universelle ancienne et moderne, publiée par Michaud, avec la collaboration de plus de 300 savants et littérateurs français ou étrangers ; Paris, 1810-1828, 52 vol in-8o, plus un supplément en 32 vol. Une deuxième édition in-4o, commencée en 1843, édition refondue, revisée et augmentée d’un grand-nombre d’articles, est aujourd’hui terminée.