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tures remarquables, notamment deux plafonds représentant, l’un l’Apothéose d’Hercule, l’autre une allégorie en l’honneur du surintendant. Il fit aussi, de concert avec Torelli, des décorations pour les fêtes brillantes que ce ministre donna à la cour. Mazarin, que ces divers ouvrages avaient frappé, recommanda, dit-on, Le Brun à Louis XIV ; mais le véritable protecteur du peintre fut Colbert, qui, pendant toute la durée de son glorieux ministère, ne cessa de le soutenir et lui fit confier d’immenses travaux. La reine mère lui donna aussi d’éclatants témoignages de sa faveur ; il peignit, d’après une idée qu’elle lui avait fournie, le Crucifix aux anges, qui est aujourd’hui au musée du Louvre.

À l’occasion du mariage de Louis XIV avec l’infante Marie-Thérèse en 1660, Le Brun exécuta, par ordre des échevins, de magnifiques décorations pour la place Dauphine. Dans la même année, Colbert le fit nommer directeur des Gobelins, où étaient établis les ateliers de tapisseries, de meubles, de pièces d’orfèvrerie, de mosaïque et de marqueterie de la couronne. Vers la même époque, Louis XIV fit venir Le Brun à Fontainebleau, lui fit disposer un appartement à côté du sien, et lui commanda de peindre des sujets tirés de l’histoire d’Alexandre. Le tableau de la Famille de Darius, fait sous les yeux du monarque, fut le premier de cette suite remarquable que complétèrent le Passage du Granique, la Bataille d’Arbelles, Alexandre et Porus, l’Entrée d’Alexandre dans Babylone , toiles justement célèbres, dont la couleur s’est beaucoup refroidie avec le temps, mais que l’on ne cessera jamais d’admirer dans les merveilleuses estampes de Gérard Audran. « Le Brun s’était préparé à ces vastes compositions, dit M. Ch. Blanc, par de grands dessins à la pierre noire, d’un caractère mâle, d’une touche expressive et ressentie, qui pour la plupart, sont conservés au Louvre. Il se livra aux études les plus sévères touchant le costume, et poussa le scrupule jusqu’à faire dessiner, à Alep, des chevaux de Perse, dont le corsage est différent de celui des chevaux grecs, afin qu’on pût distinguer, dans ses tableaux, les indiens et les Persans d’avec les soldats macédoniens. »

Louis XIV, ravi du talent de Le Brun, lui donna son portrait enrichi de diamants, le nomma, au mois de juillet 1662, son premier peintre, avec des appointements de 12,000 livres, l’anoblit par des lettres de grâce, au mois de décembre de la même année, et lui confia la direction et la garde générale des tableaux et des dessins de son cabinet, avec mission d’acheter tous les ouvrages de peinture et de sculpture qu’il jugerait dignes d’enrichir la collection royale. Un incendie ayant détruit la petite galerie du Louvre, dite galerie des Peintures, Le Brun fut chargé de sa reconstruction et de sa décoration. L’histoire du dieu du jour, qu’il y traita allégoriquement et par allusion à la devise du roi-soleil, valut à la nouvelle galerie le nom de galerie d’Apollon, qu’elle a conservé depuis. Ce travail, souvent interrompu, ne fut pas terminé par Le Brun ; il ne peignit que deux des cartouches du plafond (le Soir ou Morphée, la Nuit ou Diane) et une des voussures (le Triomphe de Neptune et de Thétis) ; il donna les dessins et même les esquisses de la plupart des autres cartouches et médaillons, et même des cariatides, des génies et autres ornements exécutés en stuc pour la décoration de cette magnifique galerie. Dans le grand cartouche central, où se voit aujourd’hui l’Apollon Pythien d’Eugène Delacroix, il avait le projet de représenter le dieu du jour debout sur son char et parvenu au milieu de sa carrière.

Une entreprise des plus considérables absorba Le Brun pendant près de quinze années. Louis XIV lui confia le soin de faire du palais de Versailles la plus magnifique résidence de l’univers. « Tout, dans ce palais superbe, dit l’abbé de Fontenai, retentit du nom de Le Brun : on y voit de toutes parts les traces de son génie. En même temps qu’il dirigeait les ornements pittoresques de l’intérieur, il donnait les dessins de la plupart des bosquets et des fontaines, de la plus grande partie des statues, des vases, de l’architecture de la galerie et des appartements, et même de la menuiserie et des serrures. Il semblait animer de ses talents tous les peintres et les sculpteurs qui travaillaient sous ses ordres. » Les travaux qu’il exécuta de sa propre main seraient trop longs à énumérer. Il décora l’escalier des ambassadeurs, les salons de la Paix et de la Guerre et la grande galerie. Dans cette dernière partie du palais il représenta, en vingt et un tableaux et six bas-reliefs peints, les principaux événements de l’histoire de Louis XIV, compositions où l’allégorie tient une place beaucoup trop grande. Il trouva encore l’occasion de déployer son infatigable activité au château royal de Marly et au château de Sceaux, qui appartenait à Colbert, son protecteur. Ce grand ministre, chargé de la surintendance des bâtiments, avait compris que nul n’était plus capable que Le Brun de réaliser les gigantesques projets qu’il avait conçus pour la plus grande gloire du monarque. Il lui confia la direction de tous les travaux d’art exécutés pour le compte de la couronne. Le Brun usa parfois, en véritable despote, de cette haute autorité, mais il en profita souvent aussi dans l’intérêt de l’art et des artistes, notamment pour obtenir la fondation d’une école française à Rome (1666).

Après la mort de Colbert (1683), l’étoile de Le Brun commença de pâlir. Le nouveau surintendant, Louvois, qui n’aimait ni Colbert ni ses créatures, affecta de vanter Mignard et l’opposa à Le Brun. Bien que le roi continuât à témoigner à son premier peintre une faveur marquée, le grand artiste, fatigué des tracasseries que ses ennemis lui suscitaient, cessa d’aller à la cour et tomba dans une maladie de langueur. On le ramena expirant de sa maison de Montmorency aux Gobelins, où il mourut le 12 février 1690. Il fut enterré à Saint-Nicolas-du-Chardonnet, dans la chapelle de Saint-Charles, qu’il avait décorée et où il avait érigé à sa mère un mausolée de marbre sculpté, d’après ses dessins, par Tuby et Colignon. Son propre tombeau fut sculpté par Coysevox.

Indépendamment des grands travaux que nous avons cités, Charles Le Brun exécuta, pour des églises et des particuliers, une foule d’ouvrages, parmi lesquels il nous suffira de mentionner : Pandore apportant sur la terre la boite où tous les maux sont renfermés, plafond de la maison de Mansart ; l’Assomption, plafond de la chapelle du séminaire de Saint-Sulpice ; le Père éternel adoré par les anges, peinture de la tribune de l’église de la Sorbonne. Le superbe tombeau du cardinal de Richelieu, placé dans ce dernier édifice, fut sculpté par Girardon d’après les dessins de Le Brun. Il donna aussi les dessins du tombeau de Colbert et de la chaire à prêcher pour l’église Saint-Eustache ; du tombeau de Turenne, pour Saint-Denis ; du principal autel de l’église des Grands-Augustins et de celui de la Sorbonne ; des décorations de l’appartement de Louis XIV aux Tuileries ; des figures de la Hollande vaincue et du Rhin, sculptées sur la porte Saint-Denis, etc. Il composa aussi des illustrations pour les éditions de luxe ; il grava des eaux-fortes dans le goût d’Audran : il fit à l’Académie des lectures et des conférences, dont plusieurs ont été imprimées, et publia un Livre de portraiture pour ceux qui commencent à dessiner. Les plus habiles graveurs de son temps, Edelinck, les Audran, les Picart, les Poilly, Sébastien Le Clerc, Chauveau, reproduisirent à l’envi ses compositions.

Le Louvre possède les meilleurs tableaux de Le Brun : les Batailles d’Alexandre, le Crucifix aux anges, la Madeleine repentante (autrefois aux Carmélites), la Sainte Famille, dite le Bénédicité, le Christ serai dans le désert par les anges, l’Entrée de Jésus-Christ à Jérusalem, l’Élévation de croix, le Martyre de saint Étienne (autrefois à Notre-Dame de Paris), la Descente du Saint-Esprit (autrefois dans la chapelle du séminaire de Saint-Sulpice), Saint Michel foudroyant les anges rebelles, une Pietà ou le Christ mort sur les genoux de la Vierge, Mucius Scævola devant Porsenna, la Mort de Caton, la Chasse de Méléagre et la Mort de Méléagre, enfin le portrait de l’artiste lui-même et celui de Du Fresnoy. À Versailles, outre les peintures décoratives dont nous avons parlé, on conserve dans le musée plusieurs toiles historiques de Le Brun. Le musée de Rennes possède de ce maître une Descente de croix ; le musée de Bordeaux, une Nymphe poursuivie par un Fleuve ; le musée de Caen, Daniel dans la fosse aux lions, le Baptême de Jésus, le Jugement dernier ; le musée de Lille, Hercule assommant Cacus ; le musée de Nîmes, Saint Jean l’Évangéliste dans l’extase.

Les tableaux de Le Brun sont rares à l’étranger. Un de ses meilleurs ouvrages, le Massacre des Innocents, provenant de l’ancienne galerie d’Orléans, se voit aujourd’hui à Dulwich-College, à Londres. À la pinacothèque de Munich est une Madeleine pénitente ; au musée de Dresde, une Sainte Famille ; aux Offices, à Florence, le Sacrifice de Jephté et le portrait de l’artiste.

Le Brun (PORTRAIT DE CHARLES), par Largillière (musée du Louvre). Le célèbre artiste est représenté assis, presque de face, les jambes couvertes d’un manteau de velours rouge. De la main droite il montre, sur un chevalet, l’esquisse d’un de ses tableaux de la grande galerie de Versailles, la Conquête de la Franche-Comté. Près de lui, sur une table, une gravure de la Famille de Darius est placée à côté d’une réduction du Gladiateur antique et d’un buste d’Antinous. À terre, on voit une tête et un torse moulés sur l’antique, un globe, un livre, des cartons, des papiers.

Cette peinture, que Largillière exécuta pour sa réception à l’Académie, en 1686, donne bien l’idée de la correction savante, de l’exécution libre et forte de cet éminent portraitiste. Elle a été gravée par Edelinck. C’était le seul ouvrage de Largillière qu’eût recueilli le Louvre avant que la générosité de M. La Caze eût enrichi notre musée national.

Le Brun a fait de lui-même, dans sa jeunesse, un portrait qui est au Louvre. Il s’est peint plus tard dans un tableau qui appartient à la célèbre collection iconographique de Florence. Au Louvre encore est un tableau dans lequel Rigaud a réuni les portraits de Le Brun et de Pierre Mignard. Le même musée possède un admirable buste en marbre de Le Brun, par Coysevox, qui en exécuta un second pour le mausolée de cet artiste. Un autre buste a été exécuté en 1806 par Espercieux.


LEBRUN (Denis), jurisconsulte français, mort à Paris en 1706. Il devint avocat au parlement de Paris en 1659, et composa des ouvrages estimés. On possède de lui : un Traite des successions (Paris, 1692, in-fol.), que l’on consulte encore ; Traité de la communauté entre mari et femme, avec un Traité des communautés ou sociétés tacites (Paris, 1709, in-fol.) ; Essai sur la prestation des fautes (Paris, 1813, in-12).


LEBRUN (Pierre), théologien français, né à Brignoles (Var) en 1661, mort en 1729. Admis dans l’Oratoire, il professa la philosophie et la théologie dans diverses maisons de sa congrégation, et en dernier lieu au séminaire Saint-Magloire, à Paris (1690). Le P. Lebrun s’est occupé dans ses ouvrages des cérémonies de l’Église en général et de la messe en particulier. Il a attaqué avec beaucoup de vigueur et d’érudition les pratiques superstitieuses, la baguette divinatoire, etc. Nous citerons de lui : Lettres qui découvrent l’illusion des philosophes sur la baguette (Paris, 1693) ; Discours sur la comédie (Paris, 1694) ; Histoire critique des pratiques superstitieuses qui ont séduit les peuples et embarrassé les savants (Paris, 1702 ; 1732, 3 vol. in-12) ; Explication des prières et cérémonies de la messe (Paris, 1716-1726, 4 vol. in-8o).


LEBRUN (Antoine-Louis), poëte et littérateur français, né à Paris en 1680, mort dans la même ville en 1743. C’était un homme de goût, qui avait voyagé dans plusieurs parties de l’Europe. Voltaire a prétendu que la fameuse pièce de vers satirique, commençant par ces mots : J’ai vu, et qui l’avait fait jeter à la Bastille, était de Louis Lebrun. Nous citerons, parmi les œuvres de cet écrivain : les Aventures d’Apollonius de Tyr (Paris, 1710) ; Théâtre lyrique (Paris, 1712), contenant sept opéras qui n’ont pas été joués ; Épigrammes, madrigaux et chansons (Paris, 1714) ; Aventures de Calliope (1720) ; Fables (Paris, 1722) ; Œuvres diverses, en vers et en prose (Paris, 1736).


LEBRUN (Louis-Joseph), savant oratorien français, né à Reims en 1722, mort en 1787. Il se livra à l’enseignement des lettres et devint précepteur des pages de la reine. On lui doit un curieux ouvrage intitulé : Explication physico-théologique du déluge et de ses effets (1762), et, pour rendre sa démonstration plus claire, il fit exécuter une machine qui fut exposée au collège, de la Trinité, à Lyon.


LEBRUN (Ponce-Denis Écouchard-), surnommé Lebrun-Pindare, célèbre poëte, né à Paris le 11 août 1729, mort dans la même ville le 2 septembre 1807. Ses parents étaient attachés à la maison du prince de Conti. Il fit ses études au collège Mazarin, et s’y distingua par de brillants succès. Des vers qu’il composa étant encore enfant commencèrent à attirer sur lui l’attention. En sortant de la classe de rhétorique, il récita un discours en alexandrins, où l’on devina tous les germes du talent qui éclata plus tard. L’Académie française ayant proposé comme sujet de prix : l’Amour des français pour leurs rois consacré par les monuments publics, Lebrun concourut et ne remporta point la palme, bien que sa pièce valût, à beaucoup d’égards, celles qui avaient été écrites par des concurrents plus heureux. Louis Racine, qui entendit le morceau, s’en montra charmé. Il voulut voir Lebrun, et le mit en relation avec son jeune fils, qui avait alors un goût très-vif pour la littérature. Les deux jeunes gens se lièrent intimement. Mais quelque temps après, le petit-fils du grand Racine, ayant quitté les lettres pour le commerce, partit pour l’Espagne et périt près de Cadix, lors du tremblement de terre qui renversa Lisbonne. Cette mort causa la plus vive douleur à Lebrun, qui composa sur ce triste sujet deux odes, dont l’une surtout, la seconde, est particulièrement touchante. Au départ, Lebrun avait déjà adressé au fils de Louis Racine de touchants adieux, dans lesquels il imitait Horace, en l’égalant dans plus d’un endroit :

Quoi, tu fuis les neuf Sœurs pour l’aveugle Fortune,
Tu quittes l’amitié qui pleure en t’embrassant !
Tu cours aux bords lointains où Cadix voit Neptune
              L’enrichir en le menaçant.
Sur les flots où tu suis ta déesse volage,
Puissent de longs regrets ne point troubler ton cours !
Les Muses, l’amitié, ces délices du sage,
              N’ont point d’infidèles retours.

Son dithyrambe sur le désastre de Lisbonne (1755) est composé sur un rhythme plus rapide. Quant à son ode à M. de Buffon, elle a, selon nous, un défaut capital : celui de rappeler la pièce de Le franc de Pompignan, sans arriver à la même grandeur d’impression. On y rencontre les mêmes comparaisons, les mêmes images : l’astre qui verse des torrents de lumière sur d’obscurs blasphémateurs. Toute cette pompe poétique, si sonore et si grandiose qu’elle soit, n’est en somme qu’un pastiche. Quoi qu’il en soit, cette pièce accrut sensiblement la réputation de Lebrun. À cette époque, le poëte remplissait auprès du prince de Conti le poste de secrétaire des commandements, ce qui le mettait à l’abri du besoin et lui permettait de se livrer à ses travaux poétiques. Une circonstance heureuse vint, en 1760, le mettre tout à fait en relief. Dans une pièce de vers, il fit appel à la générosité de Voltaire en faveur de la jeune et malheureuse héritière du nom de Corneille, réduite à vivre des aumônes de la Comédie-Française. Voltaire s’empressa de lui répondre, prit sous sa protection la petite nièce de l’auteur du Cid, se chargea de son éducation et la maria. Cet acte de générosité, auquel le nom de Lebrun était associé, fit grand bruit. Fréron s’empressa, avec son aménité habituelle, de railler à la fois Voltaire et le jeune poète. Celui-ci, furieux, écrivit alors, selon les uns, ou fit composer par son frère, selon d’autres, contre l’atrabilaire critique, deux violents pamphlets, intitulés : l’Âne littéraire et la Wasprie, et ce fut à partir de ce moment qu’il commença à écrire de petites pièces satiriques, pleines de verve et d’esprit mordant.

À cette époque, Lebrun venait de se marier avec une jeune fille spirituelle, quelque peu poète, Marie-Anne de Surcourt (1759). Il avait conçu pour elle une passion ardente et l’avait célébrée dans ses vers sous le nom de Fanny. Mais cette union, qui devait durer quatorze ans, fut loin d’être heureuse. La jeune femme était pleine de caprices ; Lebrun était violent jusqu’à la brutalité, et on a été jusqu’à dire qu’il avait vendu Fanny au prince de Conti. Quoi qu’il en soit, leur vie en commun devint tellement intolérable que Mme Lebrun quitta son mari et se réfugia, en 1774, chez sa belle-mère, d’où elle forma une demande en séparation.

Alors parurent des mémoires livrés à la publicité, et dans lesquels les deux époux se calomniaient, se diffamaient de la façon la plus honteuse. Le procès fut porté devant les tribunaux, et l’avocat Hardouin de La Reynie y défendit Lebrun. Une circonstance déplorable nuisit à sa cause : sa mère et sa sœur déposèrent contre lui et l’accusèrent de s’être montré jaloux et emporté. La séparation fut prononcée, en 1781, par arrêt du parlement de Paris, et les reprises de Mme Lebrun absorbèrent presque en entier la fortune de son mari.

Depuis quelques années, à cette époque, le prince de Conti était mort (1776), et Lebrun avait perdu sa place de secrétaire des commandements. La pension que le prince faisait au poëte fut réduite par ses héritiers à 1,800 livres d’abord, à 1,000 livres ensuite, qu’on paya toujours assez mal. Lebrun rassembla alors les débris de sa fortune et les plaça chez le prince de Guéméné, qui fit banqueroute en 1782. Lebrun appela M. de Guéméné escroc sérénissime. L’épithète était sanglante, mais elle ne fit pas restituer la somme.

Dans cette triste situation, il se fit recommander par M. de Vaudreuil auprès de M. de Calonne, du comte d’Artois et même de la reine, qui eurent pitié du poète et lui tendirent une main secourable. Lebrun reçut alors de la cour une pension de 2,000 livres, et, pour prouver sa reconnaissance, il s’écriait, dans son Exegi monumentum (1787), en parlant de la Seine :

Oui, tant que son onde charmée
     Baignera l’empire des lis,

     Elle entendra ma lyre encore
     D’un roi généreux qui l’honore
     Chanter les augustes bienfaits.

Deux ans plus tard commençait la Révolution. Lebrun se jeta avec ardeur dans le mouvement, et après la chute de Louis XVI il composa quatre Odes républicaines au peuple français, formant un petit volume de 78 pages, sorti en l’an III des presses de l’Imprimerie nationale, et qui est devenu extrêmement rare. Dans ces odes, aux mâles accents, Lebrun a célébré la liberté, la magnifique rénovation sociale qui s’accomplissait devant ses yeux, et il serait étrange de le lui imputer à crime ; mais il eut le tort impardonnable de se montrer ingrat et d’accabler dans leur chute ceux dont il avait jadis reçu les bienfaits. C’est ainsi qu’après le 21 janvier il lançait à Marie-Antoinette cette furibonde invective :

Reine que nous donna la colère céleste,
Que la foudre n’a-t-elle embrasé ton berceau !
Combien ce coup heureux eut épargné de crimes !
Ivre de notre sang, désastreuse beauté,
Femme horrible...

Sous le Directoire, Lebrun continua à composer des odes ; mais il se fit surtout remarquer par la guerre d’épigrammes qu’il fit à plusieurs écrivains de son temps. Après le 18 brumaire, on le vit d’abord se tenir sur la réserve vis-à-vis du premier consul ; il hésita longtemps à se mettre en frais d’enthousiasme. Il n’adressa à Bonaparte que de petites pièces composées bien avant le Consulat et rajustées à la mode du jour. Lors de la paix de Lunéville, il se décida à lui adresser une ode en six couplets seulement. Deux ans après, il présentait au consul une ode contre l’Angleterre, datant de 1760, à laquelle il avait ajouté une strophe menaçant Albion d’un nouvel Alexandre. La qualification de nouvel Alexandre fut payée 3,000 fr. Enfin, en 1806, le Pindare français obtint une pension de 6,000 fr., et, en sus, diverses gratifications qui lui permirent de passer la dernière année de sa vie à l’abri du besoin.

Quel que soit le mérite de Lebrun comme poëte lyrique (mérite qui s’est singulièrement amoindri depuis l’avènement de Lamartine et de Victor Hugo), c’est surtout à ses épigrammes qu’il doit sa réputation. Laharpe,